Noblesse oblige
À Obernai, La Fourchette des Ducs fête ses vingt ans. Visite dans l’écrin raffiné de Nicolas Stamm et Serge Schaal, où palpite un éclat de l’âme alsacienne.
« Un endroit où chacun puisse se sentir bien » : voilà la définition du “grand restaurant“ des années 2020 donnée par Serge Schaal. Le directeur de salle1 revendique « un service qui ne se voit pas, une envie de faire plaisir. En un mot, il s’agit d’aimer les gens. » Mission accomplie dans une Fourchette des Ducs récompensée par deux Étoiles au Guide Michelin depuis 2005. Installé dans une maison centenaire voulue par Ettore Bugatti, l’établissement offre un décor gracieux où se mêlent cristaux précieux – Baccarat pour le Salon d’été et Lalique pour le Salon d’hiver –, mobilier moderne chic et œuvres de Charles Spindler, comme un portrait de Sainte-Odile entourée de grappes de raisin peint sur le trumeau d’une cheminée, où éclate une douceur et un hiératisme hérités de l’Art nouveau rhénan. Une image qui va comme un gant aux assiettes de Nicolas Stamm : « Ma cuisine n’est pas une “cuisine Instagram”. Elle ne fume pas, ne fait pas de bruit. Dans mes plats, il y a de la mâche, de la matière », résume-t-il. Sensibilité, bienveillance, classicisme : voilà quelques mots qui pourraient décrire le travail d’une toque (trop) discrète qui semble mettre ses pas dans ceux du délicat Alain Chapel2.
Si l’esprit de la région respire dans le décor, il nimbe aussi les costumes des serveuses (à quand ceux des garçons ?), où la tradition est passée au tamis de la modernité, et le choix des vins avec un sommelier qui incite à la découverte de bouteilles locales regroupées dans une carte spécifique : « En quelques années, elles sont passées de 30% des ventes à plus de 50% », explique Serge. Cette identité alsacienne qui piquète les assiettes de touches graciles constitue également une boussole pour la cuisine raffinée en diable de Nicolas, dont l’étendard est un filet de Saint-Pierre rôti, meunière au beurre noisette et ses cuisses de grenouilles, lentilles beluga, sabayon au raifort. Un plat devenu un classique. Tout aussi exaltante est la raviole de purée de potimarron du Kochersberg à l’amaretti dont chaque bouchée a la semblance d’une explosion de bonheur. Ensuite, les jeunes pousses de légumes accompagnant une côte de veau de lait tempèrent avec grâce les ardeurs pleines d’acidité d’un jus réduit au citron. Pour finir, les saveurs hivernales d’une sphère au chocolat se lovant dans une ganache crémeuse aux châtaignes – un ensemble parcouru de nerveuses irradiations de mandarine – précède un chariot de petits fours, délirantes mignardises, avec pour seul regret, pour le dîneur, de ne point pouvoir les essayer toutes.
La Fourchette des Ducs est située 6 rue de la Gare / Place Anne-Sophie Pic (Obernai). Ouvert du mardi au samedi au dîner et le dimanche au déjeuner. Menus de 140 à 175 €
lafourchettedesducs.com
1 Il a été distingué par le titre de “directeur de salle de l’année” dans le Gault & Millau 2020
gaultmillau.com
2 Chef mythique (1937-1990) de la nouvelle cuisine célèbre pour avoir marié saveurs nouvelles et tradition du terroir