Immersion dans les errances colorées de Brecht Evens, Night Animals jette un regard sur toute la carrière de l’auteur belge.
En quelques albums, Brecht Evens (né en 1986) a imposé son style singulier, dynamitant les canons de la bande dessinée traditionnelle, se jouant des cases et déconstruisant les codes avec jubilation. Et de préciser, avec un accent flamand chantant : « Dans la BD, les bulles, par exemple, sont des éléments extra-terrestres par rapport à ce qui se passe graphiquement. Plates et symboliques, elles détonnent par rapport à l’espace de la page, où une profondeur est suggérée. J’ai donc trouvé l’astuce des textes en couleur assortis à la teinte du personnage pour les remplacer. » Illustration dans Les Noceurs (2010) qui le révèle au public, entrant en résonance avec Les Rigoles (2018), opus décrivant l’errance nocturne onirique de trois personnages. Derrière la joie et l’ivresse de leurs pérégrinations sont tapies mélancolie et solitude. À chaque fois se retrouve le même paradigme graphique avec des aquarelles sans contours ultra-colorées mâtinées de gouache. « J’aime ce médium, car il pousse à la lenteur, à une grande concentration dans la mesure où le repentir n’est pas possible. Il invite aussi à des dérapages, des hasards, de jolis accidents », précise-t-il.
En parcourant les salles de l’exposition du Cartoonmuseum, chacune étant dédiée à un album, le visiteur découvre des originaux fourmillant souvent de détails, à l’image d’une toile de Bruegel, où les références artistiques abondent que ce soit à Giotto, Giorgione ou Matisse. Il a même transposé Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich à la frénésie de la grande ville, son terrain de jeu de prédilection – métaphore des états intérieurs flottants de ses personnages – qu’il délaissa le temps d’écrire Les Amateurs (2011). « Dans un “livre citadin” les personnages sont organiques et contrastent avec des décors structurés marqués par les formes géométriques. Dans un paysage naturel, il y a de l’organique partout, c’est plus difficile à rendre », s’amuse celui qui illustra nombre de couvertures du New Yorker aussi montrées. Une autre de ses références se nomme Charles E. Burchfield paysagiste américain disparu en 1967 : « Il réussit à rendre le son des moustiques ou le grésillement de câbles électriques grâce à des astuces graphiques. C’est aussi le type de sensation que je cherche à générer. » Si ses albums sont graphiquement complexes, multipliant les jeux de transparences et les décors annexes, sans importance pour le propos – « Afin de donner l’impression qu’il y a partout d’autres histoires possibles » – le souhait de Brecht Evens est néanmoins de « ne jamais égarer le lecteur, de ne pas lui faire perdre le fil narratif ».
Au Cartoonmuseum Basel, jusqu’au 31 janvier 2021
cartoonmuseum.ch
brechtevens.com
> Visites en français : 04/10 & 01/11/2020 et 17/01/2021 (14h)
> Nuits des musées, Dessins live avec Brecht Evens 22/01/21