Dossier Sarre: Naissance d’un pont
Stratégie France, patrimoine industriel, futur festival, etc. : Ministre de la culture et de l’éducation de la Sarre depuis 2012, Ulrich Commerçon nous dévoile les traits essentiels de sa politique.
Quelle philosophie sous-tend la Stratégie France prévoyant que tous les habitants du Land de Sarre seront bilingues dans deux générations ?
Elle répond au rôle particulier de notre pays au cours de l’Histoire. La Sarre est un produit de l’amitié franco-allemande, mais a longtemps été une pomme de discorde entre les deux pays. Sans cette relation difficile pendant des siècles, le Land n’existerait pas sous sa forme actuelle. Aujourd’hui, nous voulons être un pont entre l’Allemagne et la France.
Pourquoi cette volonté ?
La raison principale est que les habitants de la région ont toujours été très proches. Pendant les nombreuses guerres, des frères et des cousins des deux côtés se sont tirés dessus. Ceci ne doit plus jamais se reproduire. Un des moyens pour cela est que chacun puisse communiquer dans la langue de l’autre. Un de nos objectifs est donc que tous les jeunes grandissent dans un univers polyglotte.
Comment cela doit-il se concrétiser dans la pratique ?
Le français est depuis toujours la langue étrangère la plus importante de la Sarre. Depuis les années 1990 nous employons dans plus de 40% de nos garderies du personnel dont la langue maternelle est le français. Dans toutes nos écoles primaires, le français est enseigné à partir de la troisième année, en sachant qu’un tiers environ des élèves a débuté son apprentissage dès la première. Dans l’enseignement secondaire, il est de toute façon la langue étrangère la plus importante. Nous attachons une grande importance à la pratique, renforçant la parole, l’écoute, la communication et les échanges.
La Stratégie France a-t-elle sa place dans la politique culturelle ?
La culture était même le premier secteur où elle a été mise en pratique avec pour symbole l’événement phare qu’est le festival Perspectives. Dans nombre de domaines, les artistes entretiennent par ailleurs des échanges étroits : nos écoles d’art et de musique ont, par exemple, de bons contacts avec les institutions correspondantes à Metz et à Nancy et le Saarländisches Staatstheater propose des spectacles surtitrés dans les deux langues, tandis que nos institutions culturelles traduisent tout en français.
Comment pourriez vous résumer les axes de votre politique culturelle ?
Premièrement, elle est transfrontalière, un adjectif à prendre non seulement dans le sens géographique, mais également comme dépassement des limites entre les disciplines en créant des perspectives inhabituelles. Le deuxième axe est une volonté d’encourager les nouveaux talents : cette semaine se déroule, par exemple, le Max-Ophüls-Festival, plus im- portant festival du lm pour les jeunes talents germanophones1. Troisièmement, il importe de promouvoir la Sarre en tant que centre très urbain. Sarrebruck est, par rapport à sa taille, une ville possédant une large offre culturelle.
De quel projet êtes-vous particulièrement fier ?
Je suis très heureux que nous ayons achevé le projet le plus difficile à mener à bien au cours de ces dernières années, l’extension de la Moderne Galerie du Saarlandmuseum. C’est un bâtiment qui a créé le scandale2, mais, au final, je crois que nous sommes tous fiers de cette extension. Dans le cadre de la relation franco-allemande, le musée a une signification particulière, puisque les collections ont été sauvées sur le sol français au cours de la période nazie.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Les dernières années ont été marquées par une situation budgétaire extrêmement difficile. J’ai néanmoins réussi à débloquer de significatifs moyens supplémentaires pour la culture. Nous sommes en train de préparer un grand festival de musique transfrontalier pour tous les publics dont la première édition se déroulera en 2020. Nous avons aussi la volonté de donner une réelle “impulsion française” au Staatstheater, en nommant Sébastien Rouland au poste de directeur général de la musique3 qui développera le répertoire français. Je ne souhaite cependant pas mettre en avant un grand projet : pour moi, le plus important reste que la culture s’adresse à tous et ne soit pas réservée à une élite.
Quels sont vos projets pour la culture industrielle ?
La combinaison entre la Völklinger Hütte et les sites importants du patrimoine minier comme Velsen – qui sont à considérer avec des sites comme le Carreau Wendel de Petite-Rosselle – sont des lieux, qui se prêtent à une étroite collaboration. Nous avons ainsi soutenu de nombreuses associations œuvrant de manière transfrontalière et sauvegardant les traditions minières. L’ancienne Mine de Luisenthal, où s’est produit une catastrophe terrible faisant plus de 300 morts en 1962 est un lieu de mémoire important pour la culture industrielle dans la Sarre tandis qu’autour du Itzenplitzer Weiher se met en place un développement passionnant où le visiteur peut découvrir toutes les formes cette industrie, du Moyen-Âge jusqu’au passé le plus récent.
Si vous étiez…
Un héros de la littérature. Sisyphe, mais celui de Camus
Un film. Casablanca
Une pièce de musique. Une des Suites pour Orchestre de Bach
Un bâtiment. L’ex-Ambassade de France, le bâtiment Pingusson. Notre ancien et futur siège
Une œuvre d’art. La Grande Gaia, une sculpture de Matschinsky-Denninghoff installée devant la Moderne Galerie
Un héros de l’histoire. Je n’aime pas les héros. L’héroïsme n’est pas une catégorie pour moi. Je ne peux rien en dire
Un sportif. Joachim Deckarm, le joueur de handball qui a subi une très grave blessure lors d’un match
1 Sa 40e édition s’est déroulée du 14 au 20 janvier – ffmop.de
2 Dépassement de budget, protestations des riverains, etc. Les travaux débutés en 2009 ont été arrêtés quatre ans !
3 Voir Poly n°215 ou sur poly.fr