My Lady Héroïne
Très enthousiasmant triptyque (rassemblant deux opéras et un oratorio signés Hindemith, Bartók et Honegger) narrant l’existence d’une femme, Héroïne est à découvrir jusqu’à samedi à l’Opéra national de Lorraine.
Une boîte noire au plancher en pente. Dans ce décor d’un dépouillement extrême et d’une noirceur intense, se déploient trois œuvres reliées par le thème de la transgression – celui qui irrigue toute la saison de la maison lorraine – qui sont aussi l’occasion d’explorer l’existence d’une femme à différents âges de sa vie. Un personnage (que l’on retrouve fillette, adulte, âgée) fait office de fil rouge, venant expliciter la chose en douceur. Avec ce dispositif, Anthony Almeida permet au public de se concentrer sur l’action, générant également de saisissantes images. La première partie, Sancta Susanna (1922) est une œuvre de jeunesse de Paul Hindemith, variation sur l’appel de la chair chez une carmélite qui rappelle parfois étrangement, dans ses convulsions extatiques, les visions de Ken Russel dans Les Diables. Dans le rôle-titre, la mezzo Anaïk Morel allie intensité dramatique et plasticité vocale dans une prestation de haut vol où la religieuse semble vraiment possédée… Face à elle, Rosie Aldridge incarne l’autorité et la morale rigoriste avec un feu glacé qui se retrouve aussi dans sa voix… On gardera longtemps en tête l’image finale où des sœurs, silhouettes presque noires se détachant à peine dans l’obscurité, maudissent la pécheresse aux cris de Satan.
Est ensuite proposée une œuvre plus connue, Le Château de Barbe-Bleue (1918) de Bartók, se déployant dans de fascinants jeux d’ombres et de lumière, le décor posé sur une tournette faisant de multiples rotations. Un modus operandi dont Anthony Almeida abuse quelque peu au détriment de la projection vocale des deux protagonistes (encore plus contrainte par de disgracieux grincements). Et c’est d’autant plus dommageable que Rosie Aldridge est une exquise Judith, se coulant dans son personnage, passant de la curiosité mutine à l’angoisse absolue, tandis que le timbre sombre de Joshua Bloom sied parfaitement au croque-mitaine aristocratique qu’il incarne.
Enfin, La Danse des morts, oratorio d’Arthur Honegger (1940, sur un livret de Paul Claudel adapté à l’affaire avec l’accord des ayants droits, où fraternité se mue en sororité) est prétexte à quelques chorégraphies macabres dans lesquelles les chœurs se distinguent… Rajoutons que la cheffe Sora Elisabeth Lee emporte les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine avec grande finesse, dans des univers sonores reliés entre eux par de subtiles passerelles, chacun représentatif d’une certaine idée de la modernité dans la première moitié du XXe siècle.
À l’Opéra national de Lorraine (Nancy) jeudi 10 et samedi 12 octobre à 20h