À Wingen-sur-Moder, le musée du même nom célèbre 100 ans de Lalique en Alsace. Un siècle d’innovations pour un défi audacieux : démocratiser l’art.
Bien qu’un flou subsiste sur l’inauguration de la Verrerie d’Alsace, le démarrage des premiers fours se situerait à l’automne 1922. Lorsqu’il s’y établit, la réputation de René Lalique (1860-1945) n’est plus à faire. Inventeur du bijou moderne, figure de l’Art nouveau et verrier renommé grâce à sa collaboration avec le parfumeur François Coty, il estime l’art trop élitiste et souhaite l’ouvrir au plus grand nombre. L’artisan émérite se donne ainsi pour objectif de rendre le beau accessible. C’est en Alsace qu’il concrétise cette ambition. Quelque 150 objets retracent cette épopée dans une palpitante présentation. Spécialiste des pièces uniques de joaillerie, il apprend à rationaliser son savoir-faire : pour conquérir une place dans les foyers français, le Champenois dépoussière les arts de la table en déclinant ses thèmes favoris – la femme, la faune et la flore, en tête – tout en se pliant aux contraintes de l’industrialisation. Le service Wingen (1926) illustre parfaitement cet effort d’adaptation. Produire un moule est alors encore très cher : pour rentabiliser l’opération, seule la jambe du verre est donc modelée, le calice et le pied étant confiés à un artisan. Une unique matrice permet ainsi de décliner un motif sur un service complet, réduisant les coûts de fabrication sans compromis sur la qualité. Selon le même procédé, le maître imagine environ 80 services puis, à partir des années 1930, une collection d’objets décoratifs (vases, sculptures, etc.).
Au décès du père fondateur en 1945, son fils Marc (1900- 1977) assure la relève. Pour relancer l’usine, cet ingénieur de formation fait le pari du luxe, délaissant le verre au profit du cristal à l’éclat incomparable. Fin stratège, l’héritier poursuit la diversification de la manufacture en se lançant dans l’ameublement, tout en maintenant l’investissement dans les arts de la table et la décoration. Son oeuvre la plus marquante en la matière reste la coruscante Tête de cheval (1953). En 1977, sa fille Marie-Claude prend les rênes de la société. Puisant dans ses voyages en Afrique, la jeune femme revisite le bestiaire de son grand-père, notamment avec la sculpture Zeila (1989) figurant une panthère prête à bondir sur sa proie. Sous son égide, la firme continue à proposer des pièces complexes et précieuses comme l’opalescent vase Orchidée (1978), réalisé en combinant soufflage, moulage et double injection du cristal. À la tête de Lalique, l’entrepreneur helvète Silvio Denz est dépositaire d’un héritage, celui du luxe à la française, s’articulant autour de cinq piliers : cristal, art, joaillerie, parfum et art de vivre. Si elle semble s’éloigner de l’objectif initial de René Lalique, la collaboration avec de grands noms de l’art contemporain et de l’architecture – Damien Hirst, Mario Botta, Zaha Hadid… – a le mérite de jeter un nouveau regard sur un savoir-faire ancestral, mais aussi, comme le souhaitait le maître lui-même, « d’éduquer notre oeil ».
Au Musée Lalique (Wingen-sur-Moder) jusqu’au 6 novembre