Montagnes russes
Avec des pages majeures signées Tchaïkovski et Chostakovitch, l’OPS invite ses spectateurs à une épopée russe en compagnie d’un chef expérimenté, Vassily Sinaisky, et d’un futur très grand pianiste, Denis Kozhukhin.
Une baguette âpre, imprégnée jusqu’à son tréfonds par l’âme russe : précise, ductile et affutée tout à la fois et souvent happée par une exaltante et féconde démesure. Voilà comment se présente Vassily Sinaisky qui occupa les plus importantes fonctions musicales dans son pays, puisqu’il fut notamment directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Moscou (1991-1996) et du Bolchoï (2010-2013). Il a choisi de débuter cette soirée à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg avec le diabolique Concerto pour piano et orchestre n°1 de Tchaïkovski, partition pleine de sève et de lyrisme mêlés confiée à Denis Kozhukhin. À moins de trente ans, le natif de Nijni-Novgorod est l’homme de la situation, puisqu’il est considéré comme un des plus habiles virtuoses du clavier de la planète depuis qu’il a remporté le Premier Prix du prestigieux Concours Reine Elisabeth (2010), Éverest des instrumentistes en devenir.
Autre monument du répertoire programmé, la Symphonie n°4 de Chostakovitch connut un étrange destin puisqu’elle fut achevée en 1936 mais créée vingt-cinq ans plus tard seulement à la faveur du dégel khrouchtchévien. La raison ? En 1934, le compositeur écrit Lady Macbeth du district de Mzensk, opéra qui narre les aspirations à l’amour d’une femme dans une société féodale, sous domination masculine. Cette “Bovary russe” est un triomphe, jusqu’au moment où Staline assiste en personne à une représentation. Nous sommes le 17 janvier 1936 et le spectacle ne plait guère au Petit père des peuples : l’érotisme qui irrigue la partition effraie sans doute le prude Géorgien. Le 28 janvier paraît dans la Pravda un article (non signé, c’est-à-dire qu’il reflète l’opinion du Parti) intitulé Le Chaos remplace la musique où l’on peut lire : « L’auditeur de cet opéra se trouve d’emblée étourdi par un flot de sons intentionnellement discordants et confus […]. Sur scène, le chant est supplanté par les cris. […] La faculté qu’a la bonne musique de captiver les masses est sacrifiée sur l’autel des vains labeurs du formalisme petit-bourgeois, où l’on fait l’original en pensant créer l’originalité, où l’on joue à l’hermétisme, un jeu qui peut très mal finir ». Au vu du style de cette colossale quatrième symphonie, âpre et éloigné des canons du réalisme socialiste, Chostakovitch, prudent et menacé, préféra ne pas jouer avec les nerfs des censeurs.
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