Misericordia, nouvelle pièce de la saisissante Emma Dante, conte le destin de trois prostituées et de l’amour qui les unit au jeune Arturo, dans les bas-fonds de la Sicile.
«La vie nous lance en l’air comme des cailloux, et nous disons de là-haut, voyez comme je bouge. » Ces mots de Fernando Pessoa, tirés du Livre de l’intranquillité, collent à merveille aux histoires d’Emma Dante, qui sculpte les corps et taille dans le vif des personnages pétris d’humanité faisant face, avec les armes que la vie leur a données, à la violence du monde. Toujours en prise avec un destin capricieux, les sentiments les plus beaux y émergent malgré des existences chaotiques, soumises aux embruns du patriarcat et de la morale religieuse. Et lorsque les cailloux de Pessoa retombent, ils se fracassent au sol, perdant quelques éclats sans pour autant cesser d’être ce qu’ils sont. Juste un peu plus abîmés. Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco et Leonarda Saffi parlent avec la vivacité de celles qu’on écoute peu. La metteuse en scène de Palerme recherche « toujours la simplicité, parlant de ce que nous sommes, de quelque chose qui est en nous, de la forme de l’être qui nous brise et nous remplit de toutes ses contradictions, des contraires que nous portons chaque jour : le sens et la folie, la force et la faiblesse. » La gouaille franche, hyper-réaliste et relevée de ses personnages n’a d’égal que leur cœur immense. Et il leur en faut pour se donner le courage de surnager à l’ombre des hommes. Face au public qu’elles regardent droit dans les yeux, Anna, Bettina et Nuzza tricotent des petits châles en laine et vendent leurs corps pour survivre à la misère. Elles veillent comme des louves en meute sur Arturo, dont la mère était l’une des leurs jusqu’à ce qu’elle périsse sous les coups de celui qui l’avait mise enceinte, laissant des séquelles à l’enfant.
Femmes fortes
« Mon théâtre parle des derniers, des délaissés, et surtout de la condition difficile de la femme, noyée et étouffée. J’éprouve le besoin de dénoncer ce statut de soumission qui, pendant des siècles, l’a reléguée à des rôles marginaux dans la société. Malgré cela, elle a réussi à devenir plus forte en construisant des forteresses en elle-même, en faisant face aux problèmes avec courage et détermination », assène-t-elle. Les éclats de pure joie font écho aux introspections plus sombres et aux souvenirs des disparus qui hantent, à jamais, ceux qui restent. Comme des Parques contemporaines, divinités romaines maîtresses de la destinée humaine, ce trio élève Arturo et l’entoure d’un amour inconditionnel, même si aucune d’elles n’a accouché « cet être défectueux et misérable » interprété tout en désarticulation par le danseur Simone Zambelli. « Ma pièce parle de maternité. Elle a affaire à ces soins éblouissants d’amour, quels que soient le sexe, la position sociale ou la filiation biologique. Ces trois Parques aident la société dans la difficile tâche d’élever ses propres enfants, les futurs citoyens de la communauté. »
À La Filature (Mulhouse) du 29 septembre au 1er octobre, au Theater im Pfalzbau (Ludwigshafen) les 14 et 15 décembre, puis en 2023 à La Manufacture (Nancy) du 9 au 11 mars, au Théâtre Dijon Bourgogne du 14 au 17 mars et au CDN de Besançon (avec Les 2 Scènes) du 20 au 24 mars
emmadante.com