Mer de sang
Compositeur en résidence à l’Orchestre national de Lorraine et à L’Arsenal, Alexandros Markeas propose deux créations mondiales, variations tragiques sur la mer devenue « lieu de mémoire ».
La “musique pour la musique” n’est pas l’affaire d’Alexandros Markeas : le compositeur estime en effet qu’elle est « profondément politique ». Dans ses partitions les contraires entrent en friction tout en s’attirant irrésistiblement pour générer une puissante force expressive : musiques savantes et populaires « provenant directement de la vie » comme le Rebetiko de sa Grèce natale, temps “occidental” d’une partition construite et temporalité byzantine faite de « psalmodies permanentes venant occuper le silence », mais également quête « d’une écriture improvisée et d’une improvisation écrite ». Centrées sur la mer, les deux créations proposées à Metz reflètent cette conception de la musique. Dans Sea is History – pièce pour orchestre dont le titre reprend un vers de Derek Walcott qui peut être considéré comme le Aimé Césaire anglophone – Alexandros Markeas livre une réflexion sonore sur la traite négrière. Dans cette œuvre commandée par l’Orchestre national de Lorraine, les flots sont tour à tour irisés de reflets impressionnistes debussystes et parcourus des chants de lutte des esclaves avant de résonner des cris sourds de leur trépas silencieux. L’auditeur passe ainsi de la contemplation sereine à la violence de la vie sur les bateaux évoquée par une danse indomptable rappelant les percussions africaines pour terminer son parcours dans l’absolue et muette douleur. Même si elle n’a pas été conçue ainsi, Une Autre Odyssée, bouleversante partition pour ensemble vocal, ressemble à la seconde partie d’un diptyque maritimo-tragique. « Nous sommes scandaleusement impuissants face au drame des migrants qui tentent de traverser la Méditerranée », explique le compositeur. Dans cette pièce, les sonorités contemporaines dialoguent avec des pages de la Renaissance (signées Gesualdo et Monteverdi) et les musiques traditionnelles du bassin méditerranéen. Les mots de Yánnis Rítsos y rencontrent ceux d’Erri De Luca pour un « chant de mort intemporel », un requiem évoquant « une mer devenue un gigantesque sépulcre ».