Matthieu Cruciani
Les nouveaux co-directeurs de La Comédie de l’Est, qui prendront leur fonction à Colmar en janvier, se sont prêtés à notre jeu du portrait chinois. Rencontre avec Émilie Capliez (lire ici) et Matthieu Cruciani.
Pourquoi faites vous du théâtre et pas autre chose.
Parce que je ne peux travailler fort qu’à des choses qui me passionnent. Et le théâtre, c’est la vie.
Ce que vous auriez fait d’autre.
Jeune, je voulais être romancier. Ou cordonnier. Ou vivre en Italie. Et je me débrouillais bien au baby-foot.
Le personnage de théâtre que vous auriez aimé être.
Vouloir les être tous ! C’est ça le grand vertige. Mais plutôt un personnage de roman quand même. Un silencieux. Un spectateur. Un narrateur. J’aime les figures légèrement en retrait.
Le spectacle qui vous a marqué au fer rouge.
La Chambre d’Isabella de Lauwers. La suprême merveille.
Votre pire souvenir au théâtre.
Regarder en rêvassant le moniteur de scène en coulisse et me dire : « Tiens, c’est là que je rentre normalement. ». Et commencer à courir ! À l’inverse rentrer au milieu d’une scène… où je ne suis pas censé entrer. En n faire tout le monologue inaugural du Prince de Hombourg devant 800 personnes, complètement aphone. Ne pas réussir à casser le silence.
Votre truc pour gérer le trac.
J’ai souvent plus le trac dans la vie avant telle ou telle rencontre ou moment important qu’avant d’entrer en scène. Contre le vrai trac, le grand, rien à faire. C’est comme une profonde timidité remontée de l’enfance. Il faut laisser passer l’orage. L’accepter. Et puis se jeter.
Ce que vous détestez au théâtre.
Quand ça veut trop servir à quelque chose disons. Ou quand ça n’a vraiment servi de rien. Ça peut me rendre un peu mélancolique. Mais bon c’est si difficile le théâtre… Rien ne me met en colère. C’est juste que devant un spectacle un peu manqué, faire du théâtre semble tout à coup comme impossible.
Un rêve fou à porter au théâtre ou ailleurs.
Y faire entrer l’océan bien sûr, mais je l’ai volé à Gracq. Installer une piscine sur un plateau serait déjà bien, ce que nous allons tenter de faire sur ma première création à Colmar, Piscine(s) en janvier 2020.
Votre plus grand raté.
Je ne sais pas. Rater, réussir c’est très proche. Et puis il se trouve toujours quelqu’un pour trouver sinistre ce que vous pensiez solaire et formidable ce que vous pensiez navrant. Ça met en perspective. C’est joyeux : rien n’est jamais vraiment gagné ni perdu.
Votre livre de chevet.
En ce vendredi 17 août, deux livres de poèmes de Jaccottet. Sur les Falaises de marbre de Jünger, un chef-d’œuvre. Walden de Thoreau, passionnant mais un poil moraliste. Le Dossier M de Grégoire Bouillier, génie vivant. Un polar de Pérez-Reverte, nul et top à la fois. Pour le livre de l’île déserte, c’est L’Homme sans qualités de Musil, sans hésitation.
L’objet qui vous suit depuis longtemps.
Ma montre. Une vieille italienne de famille. En arrêt maladie depuis quelques semaines après un stage incompréhensible dans la machine à laver mais je compte bien trouver un horloger à Colmar. L’annonce est passée.
Le pire écueil quand on dirige un lieu.
Nous sommes plus dans l’impatience et l’envie que dans les craintes. Nous savons ce que nous ne voulons pas. Nous couper du public. Ne pas travailler en équipe. Ne pas y prendre de joie aussi serait dommage. Mais aussi ne plus voir ses enfants. Perdre tous ses cheveux. Tous ses amis. Prendre 20 kilos. Liste en cours…. On refait le point en août 2019, c’est d’accord ?