Avec le Ballet du Rhin, Martin Chaix revisite le chef-d’œuvre romantique Giselle, datant de 1841, dans une perspective féministe. Interview avec le chorégraphe, en pleine création.
Écrire une Giselle du XXIe siècle, c’est tordre le cou à certaines lectures misogynes d’une héroïne naïve pardonnant bien vite. Quelles modifications apportez-vous à ce ballet romantique afin de ne plus objectiver son héroïne et vous inscrire dans les pensées féministes actuelles ?
Malgré son titre, le point de vue de ce ballet iconique était tout à fait masculin. Je l’ai analysé à l’aune des mouvements féministes d’aujourd’hui afin de donner la parole aux femmes dans cette histoire. La raconter par le prisme de Giselle et voir comment elle pourrait évoluer, à l’instar de Bathilde, princesse et personnage secondaire soumis et silencieux, qui est la promise d’Albrecht, lequel a séduit la jeune paysanne. Myrtha, reine des Wilis, est aussi traditionnellement un stéréotype réducteur de femme vengeresse, alors que je la souhaite bienveillante. Albrecht sera dépeint tel qu’il est réellement : un pervers narcissique trompant son monde et pas le prince valeureux, héroïque et séducteur habituel. C’est un Weinstein d’alors, rien de plus ! Quant à Giselle, innocente au départ, elle va s’affirmer et s’assumer en devenant indépendante face aux coups du sort qui la guettent. Elle clôture aussi la pièce, ce qui change tout.
Vous donnez corps à une véritable sororité ?
Elle imprègne totalement le 2e Acte avec les Wilis. Les blessures nées de la trahison amoureuse vécue par ces femmes mortes avant leurs noces débouchent sur leur résilience et leur bienveillance les unes à l’égard des autres. Je devrais aussi dire les uns à l’égard des autres car il y aura des hommes.
Vous ajoutez aussi à la musique d’Adolphe Adam deux symphonies de Louise Farenc, compositrice et pianiste du XIXe siècle, qui a dû publier certaines de ses partitions sous le nom de son mari…
Je m’inscris dans le travail de revisibilisation des compositrices oubliées et redonne la valeur qu’elles méritent à ces deux magnifiques symphonies aux similarités troublantes avec les compositions d’Adam.
Casser les codes passe aussi par un travail sur le corps…
Je mène depuis plusieurs années une réflexion sur les techniques masculines et féminines, travaillant sur les pointes et le bienfondé de leur utilisation. Cette technique est née pour alléger le corps de la femme, le rendre éthéré à l’époque romantique. Je veux à l’inverse lui donner de la force. Si le 1er Acte conserve des rôles ciblés avec de nombreux portés masculins, au 2e on passe de l’un à l’autre avec un homme sur pointes et inversement. Je brouille les pistes et casse ce qui dans notre éducation relève du masculin et du féminin.
C’est une gageure que de proposer d’autres modèles romantiques aujourd’hui ?
La finalité est d’arriver à s’aimer sur un même pied d’égalité, sans objectiver l’autre. La clé de voûte de ce ballet est de trouver, d’inventer un nouveau langage amoureux.
À l’Opéra (Strasbourg) du 14 au 20 janvier, puis au Théâtre de la Sinne (Mulhouse) du 26 au 31 janvier dans le cadre de la Quinzaine de la Danse et au Théâtre municipal de Colmar dimanche 5 février
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