Le chorégraphe catalan Marcos Morau réveille La Belle au bois dormant pour le Ballet de l’Opéra national de Lyon.
Spécialiste de scénographies réalistes servant les dystopies qui peuplent ses créations, Marcos Morau investit un espace muséal vide de toute oeuvre, mais pas de vie. Sa belle endormie, qui s’éveille cent ans après notre ère, n’a de princesse que le costume. Pas de prince charmant aux alentours, ni d’injonctions parentales à la maternité. La nouvelle aurore de son existence n’est, pour autant, pas de tout repos car le chorégraphe la place – à moins qu’il ne la diffracte littéralement – au coeur des douze autres danseurs du Ballet de l’Opéra national de Lyon. Hommes et femmes sont ainsi vêtus des mêmes robes à crinoline, recouvertes de tulle blanche, idéales pour embrasser les diverses teintes caméléonesques d’une création lumière zénithale qui se répand sur le plateau depuis un plafond mouvant. Le clin d’oeil à La Servante écarlate, avec le rouge du même nom, est appuyé par des coiffes rappelant celles de la série. L’éclairage tressaute et les teintes vibrent à l’instar des corps pris dans une intensité folle de postures et de regards oscillant entre crainte et curiosité renouvelées.
L’impavidité des visages tranche avec les mouvements brusques d’êtres aux bustes corsetés de dentelle, dont les changements d’états et de directions, tout en ruptures et rejets du crâne en arrière, défient l’anatomie humaine. Cet essaim de volatiles, têtes de guingois, enchaîne les mouvements collectifs de balancier et de fulgurances inquiétantes par contamination et imitation. Comme possédés la rigidité des interprètes offre au regard une désarticulation étonnante et fascinante, renforcée par des jambes longtemps invisibles sous les volumes des armatures des costumes. L’apparence heurtée en ferait presque des automates – ou des pantins robotiques manipulés par les ondes d’un boitier électrique lumineux – si Marcos Mauro ne prenait un malin plaisir à disséminer, petit à petit, des signes d’humanité se glissant dans ce cauchemar où les flexions renversées du dos voisinent avec autant de possibles doubles de la belle. Dans les contretemps de la musique de Tchaïkovski, le Chilien Juan Cristóbal Saavedra glisse ses nappes d’electro gorgée de synthés qui accompagnent un plafond s’abaissant, lame menaçante qui se refermerait comme un clapier sur quiconque défierait, seul, la norme.
L’arrivée d’un bébé, que chacun et chacune se passe dans un somptueux mouvement continu tel un trésor dont il faudrait, ensemble, prendre le plus grand soin, se détourne du dogme du foyer nucléaire. À vitesse grand V, le poupon grandit, toujours entouré de ses figures tutélaires, anonymes mais fortes de leur multiplicité, tandis qu’elles trouvent le courage d’effriter décor et costumes, révélant le squelette d’un monde et ses illusions de cadre. La danse se fait plus libre, sautillante, toute en volte-face et tournoiements. Dans le futur selon Morau, la liberté provient définitivement de la force du groupe.
À l’Opéra de Reims (en coréalisation avec Le Manège) du 14 au 16 avril, dès 12 ans
operadereims.com – manege-reims.eu
> Audiodescription le dimanche 16 avril à 14h30