Majeur et vacciné
Musiques Volantes fête ses 18 ans mais continue à défricher grave et à s’éclater dans tout l’Est (et au-delà[1. Le festival a également lieu du 6 au 26 novembre un peu partout en France (à Tours, Montpellier, Nantes…)]). Heureusement, le senior Lee Ranaldo est là pour veiller sur tout ce petit monde agité.
Insaisissable, le festival messin fugue sans cesse, partant à la découverte de nouvelles sensations à l’écart des sentiers battus. Impertinent et sans concessions (c’est ainsi qu’il se définit), Musiques Volantes est une bourrasque sonore curieuse, découvreuse, qui est arrivée à maturité. Pour son dix-huitième anniversaire, on dansera mécaniquement sur les beats secs de Factory Floor (un de nos coups de cœur, qui rend un bel hommage aux années 1980 d’A Certain Ratio and co), on se déhanchera sur la no-wave lo-fi de Vex Ruffin et on se lâchera sur le groove exclamatif de !!! (Chk Chk Chk).
On rêvassera, bercé par les complaintes de Matt Elliott, l’electro doucement concassée de Kelpe ou celle d’Uzi & Ari et de Bajram Bili. Lors de cette édition, il s’agira également d’ouvrir grand ses écoutilles étonnées à l’occasion de performances torves : le psychédélisme à la chilienne signé Föllakzoid, le punk arty de Camilla Sparksss ou le rock bruitiste (dé)composé par Za ! Tous ces artistes existeraient-ils sans leurs aïeux, aventuriers soniques à l’éternelle jeunesse, Sonic Youth ?
Comme un ouragan
Panique à l’avant-garde : le groupe mythique new-yorkais met son avenir entre parenthèses et chacun opère en solo, tournant le dos à ses acolytes. Thurston Moore sort des disques rêches avec Chelsea Light Ming tandis que son ex, Kim Gordon, hyper vénère depuis son divorce, casse la baraque au sein de son projet Body / Head, en compagnie du guitariste Bill Nace. L’an passé, nous avons eu droit a une séance de décrassage de tympans, à grands coups de larsens coupants et voix aiguisées, d’effets de pédales et autres distorsions, dans l’obscurité de l’Auditorium du MAMCS : notre corps, nos têtes et nos oreilles bourdonnantes s’en souviennent encore. Parfois, ça fait du bien quand ça fait mal.
Dans la famille (éclatée) du clan Sonic Youth, je demande à présent le chanteur / guitariste, tête d’affiche de Musiques Volantes : Lee Ranaldo[2. En concert à Metz, au Musée de La Cour d’or, jeudi 14 novembre, et aux Trinitaires, vendredi 15 novembre] continue lui aussi son petit bonhomme de chemin. Le musicien aux cheveux poivre et sel vient de sortir Last Night On Earth (chez Matador, comme les disques de SY et de ses différents membres) en compagnie de son groupe, The Dust, composé de Steve Shelley (batteur de SY), Alan Licht et Tim Lüntzel. Cet album est une fenêtre ouverte sur les autres. Un grand bol d’air frais ? La bande-son d’une société en crise, la BO de nos désillusions, un album poreux et sombre sur lequel souffle encore Sandy qui s’est abattu sur la côte Est des États-Unis fin 2012 : l’ouragan a donné un avant-gout de fin du monde au musicien, profondément marqué.
À Metz, il présentera son œuvre fissurée, faite de tourments et de rage, à deux reprises : lors d’un concert “électrique” aux Trinitaires et d’un show intimiste au Musée de La Cour d’or, dans une configuration acoustique. Durant cette soirée, un éventail de films expérimentaux, sélectionnés par l’association Seconda Voce (Kugelkopf de Mara Mattuschka ou Vestibule de Ken Kobland), sera projeté en 16mm. À l’écran, « des corps meurtris, bizarres ou inquiétants, nus ou déguisés », des images raccords avec la musique angoissée de Lee Ranaldo.
03 87 37 19 78 – www.musiques-volantes.org
Le petit couteau
Orval Carlos Sibelius, auteur d’un troisième essai[3. Super format, édité par Clapping Music – www.clappingmusic.com] luxuriant, poursuit ses explorations, nous menant jusqu’au Burundi ou sur des archipels inconnus, nous propulsant dans les années 1960 en battant des ailes avec les Byrds ou les nineties en marchant dans les pas du collectif Elephant 6. Kaléidoscope pop, millefeuille psyché aux influences multiples, jeu de construction ? L’intéressé nous ouvre les portes secrètes de son studio : « Je construit mes morceaux très simplement en partant de chansons : une mélodie et un refrain, composés avec ma guitare et ma voix. Puis je creuse les arrangements en essayant de trouver des idées folles, différentes à chaque fois, afin qu’on ne s’ennuie pas. »
Des squelettes qu’il pare de toilettes fastueuses ? « De belles femmes aux rondeurs appétissantes que j’habille », rectifie-t-il. Les ambiances varient en fonction des titres – « Ça me permet de titiller l’auditeur : comme si j’avais un petit couteau pointu et que je le piquais dans le ventre à chaque nouveau morceau », explique-t-il –, mais les sixties, période qui le fascine, planent sur son dernier opus qu’il défend sur scène, accompagné de quatre musiciens. « Je n’aurais pas voulu vivre dans les années 1960, mais à cette époque c’était plus facile de faire de la musique hors-cadre. » Qu’Orval se rassure, ses productions sont loin, très loin, des chemins balisés.
03 87 37 19 78 – www.musiques-volantes.org À Strasbourg, à La Laiterie, vendredi 8 novembre (avec le groupe mulhousien Domino_E) 03 88 237 237 – www.artefact.org