Ma sorcière bien aimée
À Nancy, puis Dijon, s’épanouit une nouvelle production éminemment politique d’Alcina de Haendel, mise en scène par Serena Sinigaglia. Visite sur l’île enchantée.
Virtuoses en diable, les membres de la Cappella Mediterranea – et leur directeur musical Leonardo García Alarcón – que nous avions écoutés, admiratifs, il y a quelques mois à Bastille dans Les Indes galantes de Rameau, sont les interprètes idéaux de la pépite baroque qu’est Alcina de Haendel. Un personnage secondaire d’Orlando furioso (Roland furieux) de Ludovico Ariosto1 y est placé sous les feux des projecteurs, donnant son titre à l’opéra. Elle est une puissante sorcière, magicienne régnant sur une île dont le pouvoir, rappelant celui de Circé dans L’Odyssée, est de métamorphoser les hommes qu’elle attire en pierres ou en bêtes sauvages. Brûlant d’amour pour le chevalier Ruggiero, elle le retient captif, mais sa fiancée – déguisée en homme – vient pour tenter de le délivrer. Elle débarque sur l’île et la sœur d’Alcina, trompée par les apparences, craque pour ce qu’elle imagine être un beau garçon. Tel est le point de départ d’une intrigue abracadabrantesque où les sortilèges le disputent aux effets spéciaux (éclairs zébrant le ciel, métamorphose d’un homme en lion, etc.) pensées pour la machinerie ultra performante pour l’époque de Covent Garden, où l’œuvre fut créée en 1735.
Dans notre XXIe siècle « profane, marqué par le triomphe de la technologie, la seule magie que nous connaissons est celle des images qui n’ont de cesse de nous persuader et de nous séduire à travers un jeu de miroirs, nous réduisant à l’état de purs consommateurs. Monter Alcina aujourd’hui, c’est s’interroger sur l’effondrement éthique et humain de nos sociétés capitalistes soi-disant libres », explique la metteuse en scène Serena Sinigaglia2 qui livre une vision éminemment politique de l’œuvre de Haendel. C’est d’une lutte entre deux univers dont il s’agit, la sorcière apparaissant bien plus humaine que tous les autres protagonistes présentés comme civilisés. Et de poursuivre : « Alcina incarne une forme de résistance. Son monde est sensible, indomptable, anarchiste. Il s’oppose au monde conservateur, dévot et manichéen d’Atlante, dont est issu Ruggiero. Elle nous rappelle à la nature. Comme elle, la nature est à la fois belle et terrifiante. Et nous la détruisons, tout comme son royaume qui sera finalement anéanti. » Un royaume comme une métaphore de la situation d’une planète à bout de souffle ?
À l’Opéra national de Lorraine (Nancy), du 11 au 18 mars
opera-national-lorraine.fr
À l’Opéra de Dijon, du 15 au 17 avril
opera-dijon.fr
Cette mise en scène d’Alcina sera également présentée à l’Opéra national du Rhin en mai / juin 2021 operanationaldurhin.eu
1 Poème épique en italien écrit au début du XVIe siècle puisant aux sources des principaux cycles cheva- leresques médiévaux
2 Directrice artistique du Teatro Ringhiera de Milan