Ma solitude

© D. Steiner

Traducteur des œuvres de son compatriote albanais Ismail Kadare et musicien virtuose, Tedi Papavrami a plus d’une corde à son violon. Portrait d’un artiste qui va créer un concerto de Marc Monnet à Musica.

« Traduire, c’est trahir ». L’adage est célèbre… même s’il y a de « belles façons de trahir », affirme dans un sourire Tedi Papavrami à qui l’on doit, depuis la disparition de Jusuf Vrioni en 2001, la version française des livres de l’immense écrivain albanais Ismail Kadare. Et de poursuivre : « Il est souvent indispensable de prendre des chemins de traverse, de s’éloigner du texte, pour en restituer l’essence et retrouver une nécessaire vérité. » Le parallèle avec la musique éclate avec évidence. Interpréter, c’est également chercher sans discontinuer « un sentiment de vérité, tenter de retrouver la langue du compositeur ». C’est ce que fait avec brio le violoniste quadra qui assurera, en ouverture de Musica, la création mondiale de Mouvement, imprévus, et… pour orchestre, violon et autres machins de Marc Monnet déjà auteur  du tonitruant Pan présenté à Strasbourg en 2005.

Une enfance albanaise Dans son autobiographie récemment publiée, Tedi Papavrami narre son existence jusqu’à 16 ans avec un style délicat : entre épopée musicale initiatique et souvenirs d’avant la chute du Mur, Fugue pour violon seul est un précieux témoignage. On y découvre un pays isolé, replié sur lui-même après la rupture avec l’URSS (1961) et le grand schisme avec la Chine (1977). Dans les yeux d’un enfant – impossible, parfois, de ne pas penser aux célèbres pages de Pagnol – il s’agit avant tout d’un terrain de jeu plein « du parfum des fleurs, des repas familiaux… Certains se font une fausse idée en croyant que, dans une dictature les êtres n’ont plus de sentiments, que tout y est gris. » Nostalgie. Espiègle et insouciant, Tedi tente d’échapper à la contrainte du violon imposée par son professeur de père et invente mille et un tours… Prodige, il est remarqué par le flûtiste Alain Marion qui se produit à Tirana, un événement exceptionnel à l’époque : « Je me souviens de ces concerts comme d’instants rares.  Avant lui, il y avait eu un chef turc et un pianiste norvégien. On a du mal à se le représenter aujourd’hui, mais ces incursions venues de l’étranger en Albanie étaient incroyables. » Plus étonnant encore, le jeune Tedi va réussir à étudier en France : « C’est un peu comme si on choisissait un enfant aujourd’hui pour faire un voyage dans l’espace, que tout cela était suivi à la télévision », explique-t-il. Paradoxalement, c’est grâce à l’intervention personnelle du dictateur albanais que le violoniste est autorisé à partir, « par la grâce de celui qui maintenait son peuple en prison » qu’une administration ubuesque est court-circuitée : « Il n’y avait que lui pour me soustraire à la rigidité qu’il avait instaurée. » La scène de la rencontre avec “Oncle Enver” est surréaliste : « Une idée me transperce alors comme un éclair. Et s’il pouvait lire dans la tête ? Et si le “grand criminel en chef” comprenait que j’ai des pensées sacrilèges, que je sais qui il est vraiment ? » Vertige.

Je marche seul Après ce furent les leçons avec Pierre Amoyal, les découvertes permanentes à l’Ouest – pas toujours heureuses – mais aussi les rencontres marquantes, comme celles de Viktoria Mullova et la fuite assortie d’inévitables et sauvages représailles sur la famille restée dans le “pays des aigles”. Au-delà de la vision historique, le livre de Tedi Papavrami est aussi un témoignage sur « la solitude du violoniste. Il n’y a aucune échappatoire possible. On est seul face à la partition : la faire vivre nécessite du temps et du travail. Seul face aux notes. Cela prend parfois des mois ou des années. » Cette ascèse, on en découvre les délicats scintillements dans Violon seul, coffret de six CDs paru en même temps que son autobiographie qui en constitue le prolongement sonore naturel. Dans le répertoire pour violon seul existe un puissant « sentiment de liberté… chèrement payée par son exigence instrumentale ». Sonates et Partitas de Bach (dans une excitante version), Caprices de Paganini virtuoses et inspirés ou transcriptions de Bartók réalisées par Tedi Papavrami – décidément créateur complet –forment un ensemble où l’altier dépouillement le dispute à l’élégance la plus absolue… Les vertus de la solitude, sans nul doute.

À Strasbourg, au Palais de la Musique et des congrès, en ouverture de Musica, vendredi 20 septembre

www.festivalmusica.org

Rencontre avec Tedi Papavrami, à L’Aubette, dans le cadre des Bibliothèques idéales, jeudi 19 septembre à 17h pour évoquer son livre Fugue pour violon seul (Robert Laffont) et découvrir des extraits de Violon seul (Zig-Zag Territoires)
www.tedipapavrami.com

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