Space Oddity
Gaël Leveugle se jette à corps perdu dans Loretta Strong, monologue génial et grotesquement fou de Copi, qui met le corps d’une spationaute en pièces pour mieux nous l’offrir en pâture.
Raúl Damonte Botana, dit Copi, n’est pas qu’une icône gay morte du sida en 1987, chantre de l’irrévérence et de la provocation, du mélange des genres, du foutre et du rire poussé dans toute sa démesure. Sa Loretta Strong, il la jouait peint en vert, le sexe en rouge, ou encore habillé en sirène par Saint-Laurent dans une performance à plus ou moins long cours. Gaël Leveugle s’empare de cette histoire loufoque : une spationaute ayant assassiné celui qui l’accompagne tente de joindre la Terre au téléphone. Quelqu’un aurait oublié de brancher l’oxygène et voilà qu’une Linda lui apprend l’explosion de sa planète d’origine. « Copi s’attaque au corps dans toutes ses dimensions : viol par des hommes-singes, fécondation de Loretta par des rats et accouchement de ratons aux yeux saphirs », rappelle le metteur en scène / performer. « Elle s’enfonce des frigos par les orifices… Il assaille toute l’identité, lui qui vivait le drame du corps par l’exil de son argentine natale. Je pense qu’il est vital aujourd’hui, pour échapper au conditionnement de l’esthétique du marketing, de proposer une esthétique de l’expérience. »
Totalement nu dans un cube aux arêtes métalliques, les sons trafiqués par un logiciel algorithmique réalisant des boucles aléatoires et les motifs de lumière diffus malaxent le corps en rendant l’espace dense et complexe. Simple délire de junkie cyberpunk ? « Pas si simple, même si l’on retrouve des objets du quotidien de Copi dans le texte (frigo, anorak…) et qu’on connait son amour des psychotropes. Loretta Strong fonctionne comme un ensemble de dentelles et mantras qui explosent et se recomposent, une sorte de schizophrénie chimique jetant de soi sur un autre corps en divers éclats. Il nous invite à un carnage des horizons habituels de l’imaginaire collectif du corps me poussant à chercher à renouer avec un théâtre d’avant le diktat du naturalisme et de Stanislavski. Je cherche à proposer une autre expérience du corps pour dépasser nos préjugés. » Altérer l’évidence, jeter le trouble, évoquer la mort, le désespoir, l’enfermement dans une valse en trois temps : un tableau vivant composé d’objets sous vide sur scène, Loretta tuant Steve Morton et les pétrifiantes impressions corporelles d’une chair traversée par les fantasmes d’un texte farcesque mais non moins fascinant.
À l’Espace 110 (Illzach) dans le cadre de la Quinzaine de la danse (avec le concours de La Filature de Mulhouse), mardi 20 mars 2018
espace110.org – lafilature.org – culture-alsace.org