Loft story

© Jean-Marie Sother

Le metteur en scène mulhousien Thomas Ress s’attaque à l’ascension de La Tour de la Défense du subversif Copi. Politiquement très incorrecte, cette pièce hilarante laisse entrevoir les failles d’un monde en manque d’amour.

Un soir de réveillon, dans un appartement bourgeois, un couple s’engueule à coups de répliques assassines. La porte s’ouvre avec fracas sur la bonne copine exubérante, puis claque sur la voisine trop encombrante. Les codes du vaudeville sont posés. Sauf que. Le couple, c’est Luc et Jean. La copine, se nomme Micheline, perruque blonde, talons aiguilles et barbe naissante. La voisine, Daphnée, est sous acide, entre deux rives. Ne manque plus qu’e l’Arabe Ahmed, beau comme un dieu. Quant à la déco, on imagine Philippe Starck faire ses emplettes dans un sex-shop. Bienvenue chez Copi. « Les caractères sont extrêmement stéréotypés mais, contrairement à la comédie de boulevard, ils sont placés devant une situation très réaliste. L’intérêt est d’observer comment ils réagissent alors », explique Thomas Ress, metteur en scène de la compagnie des Rives de l’Ill. « On voit les personnages sous la douche, aux toilettes, dans la cuisine : c’est presque Big Brother, avec l’œil du public à la place de la caméra. » Entre expériences culinaires délirantes, strings qui volent et bestioles qui s’en mêlent, le rythme est effréné : un vrai vaudeville façon trash, avec des cinglés en roue libre, des amours impossibles et du sang sur les murs, celui du serpent qui a jailli de la canalisation et finit découpé en rondelles pour agrémenter le dîner de fête. Mais le spectateur hilare ne s’en tirera pas comme ça, et c’est en pleine figure qu’il prendra l’indécence de son voyeurisme forcé, lorsque la comédie tournera soudain au drame.

Chantre du mouvement gay dans les années 1970 / 1980, Copi n’aimait rien tant que pulvériser les tabous. Non pour choquer, mais pour aller chercher la vérité. Derrière ses personnages odieux, égoïstes, cyniques, à la sexualité débridée, on aperçoit peu à peu des souffrances sans fond, des errances sans repères. « On est face à des gens en détresse, mal dans leur peau, qui ont des difficultés dans leurs rapports aux autres, dans leur construction personnelle », éclaire Thomas Ress. Des êtres émouvants, au fond. Parce qu’au-delà de leurs outrances, ils ne sont pas loin de nous ressembler. Leurs drames intimes sont pathétiques, leurs faiblesses bouleversantes. Pourtant on continue à rire, emportés par l’élan de la mécanique vaudevillesque. Jusqu’à s’esclaffer de choses parfaitement atroces. Alors le rire jaunit à mesure qu’on réalise, comme au ralenti. Mais c’est trop tard, on a ri. Ne reste plus qu’à se demander comment on a osé.

 À Cernay, à l’Espace Grün, vendredi 12 octobre
03 89 75 74 88 – www.espacegrun.net
www.rivesdelill.fr

 

vous pourriez aussi aimer