Living in a box

Ironiques et riches de mille et une significations, une vingtaine de gigantesques Lightboxes de Rodney Graham (né en 1949) envahissent le Museum Frieder Burda.

Le ton est donné dès l’entrée de l’exposition : Antiquarian Sleeping in his Shop (2017) accueille le visiteur. Ce triptyque monumental – cinq mètres cinquante de long sur deux soixante-quinze de haut et près de vingt centimètres de profondeur – est une des plus récentes œuvres de Rodney Graham, illustrant son modus operandi favori : monter des photographies dans des caissons lumineux, immenses boîtes qui leur donnent une coloration hyper réelle. Le modèle ? L’artiste canadien lui-même, personnage d’une certaine manière secondaire – contrairement à une Cindy Sherman qui écrase l’espace – posé dans un décor conférant son véritable sens à l’ensemble. Ici, il incarne un antiquaire somnolant dans son échoppe chic, plutôt cabinet de curiosités que broc’. Le regard erre, explorant un fourmillement de détails aussi importants les uns que les autres (comme le livre de Harry Smith posé sur le ventre du personnage), se perd au cœur d’un intérieur figé dans un passé élégant, illustrant avec malice et finesse le danger de la nostalgie, tout autant que la fascination qu’elle peut générer. Un brin ironique, le plasticien multiplie les références avec un travail narratif d’une extrême subtilité rappelant celui de Jeff Wall – un autre membre de l’École de Vancouver, tout comme Stan Douglas ou Ken Lum – qui utilise, lui aussi, le principe du rétro éclairage.

Mélancolique, décalé, contempteur des errements de la modernité, narquois par rapport au monde de l’Art : dans ses immenses compositions, Rodney Graham se joue, par exemple, de la science des médias, incarnant un professeur aux airs de dandy désuet faisant penser à un clone de Marshall McLuhan (Media Studies, 2017) ou brocarde l’image traditionnelle du cow-boy dans une ahurissante mise en abyme métamorphosant un outlaw en pistolero d’opérette (Paradoxical Western Scene, 2006). Au visiteur de plonger dans des œuvres où abondent citations et références à l’Histoire (de l’Art, des Sciences, etc.) et de construire, par lui-même, d’étonnantes passerelles. Au premier regard, l’image se présente néanmoins comme un instantané presque pop dont le niveau de lecture élémentaire se suffit à lui-même (une belle illustration en est Newspaper Man, 2016). Il faut ensuite s’immerger mentalement dans les arcanes de la photographie, laisser son œil et son esprit vagabonder, tenter d’interpréter des indices semés ici et là par l’artiste, pour, peu à peu, à la manière d’un puzzle, en construire le sens profond.

 

 Au Museum Frieder Burda (Baden-Baden), du 8 juillet au 26 novembre

museum-frieder-burda.de

 > Musique au Musée avec l’ensemble Azahar (10/07) et le percussionniste Christoph Sietzen (06/11) – festspielhaus.de
Nuit de l’Art dans tous les musées de la Lichtentaler Allee (29/07)

Antiquarian Sleeping in his Shop, 2017, Museum Frieder Burda, Baden-Baden, © Rodney Graham, 2017

Media Studies, 77, 2016, Courtesy Hauser & Wirth and the artist © Rodney Graham, 2017

 

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