Mettant en scène Like Flesh de Sivan Eldar, Silvia Costa emporte le public de l’ONL dans un opéra d’une extrême fluidité, revisitant Les Métamorphoses d’Ovide à la lumière des enjeux écologiques.
L’histoire est simple, celle d’une femme malheureuse ayant épousé un bûcheron et navrée de voir son mari détruire, jour après jour, la forêt où ils habitent. Sa tristesse la plonge dans l’immobilisme. Cette crise va la faire s’échapper de son espèce, la transformant progressivement en arbre, histoire de fuir la désespérance du quotidien, mais également de faire corps avec la nature blessée. De la retrouver au plus profond, pour se redécouvrir elle-même. Au cours de cette métamorphose, elle rencontre l’amour en la personne d’une jeune étudiante. Relecture éminemment politique du mythe de Daphné changée en laurier pour ne plus être soumise aux assiduités d’Apollon, conté par Ovide, Like Flesh (créé en janvier 2022) est porté par le texte puissamment poétique de Cordelia Lynn et la musique immersive de Sivan Eldar. Les instruments se mêlent subtilement à l’électronique, qui fait se répondre un orchestre raffiné de petite dimension et une soixantaine de haut-parleurs disséminés sous les fauteuils de la salle. En parallèle aux questionnements écologiques, sont posées des interrogations sur l’amour et le genre : qu’est-ce que veut dire tomber amoureuse ? Comment penser au neutre, le it anglais ? Comment aimer un être différent dans son essence ?
À côté des personnages humains, la forêt souveraine, toujours victorieuse malgré les vilénies des Hommes, tient le premier rôle, incarnée par un chœur à six voix, rappelant celui du théâtre antique et représentée sur scène de manière métaphorique par Silvia Costa : « Pour moi, elle est une idée, un concept. C’était impossible d’en avoir une vision naturaliste. J’ai donc cherché à insérer cette histoire dans la tradition mythologique, mais à travers une nouvelle forme, qui restructure la réalité visuelle du public d’une manière contemporaine et au-delà de l’humain grâce à l’Intelligence artificielle. Après un processus d’apprentissage automatique à partir d’une somme de données, elle transforme, recompose et produit de nouvelles images, en miroir étrange de certains processus naturels », résume-t-elle. Le résultat est éblouissant, hésitant avec bonheur entre obscurité onirique et efflorescences baroques dans les motifs produits par l’IA « à partir d’un ensemble de données thématiques du livret et qui influencent l’action scénique. » Comme si des millions d’images sylvestres se recombinaient à l’infini pour créer un nouvel espace métaphorique d’une intense beauté pastique. Voilà qui n’est guère étonnant lorsqu’on sait que Silvia Costa débuta sa carrière au sein de la Socìetas Raffaello Sanzio et qu’elle œuvra bien souvent avec Romeo Castellucci...
À l’Opéra national de Lorraine (Nancy) du 28 septembre au 2 octobre opera-national-lorraine.fr
> La représentation du 2 octobre est présentée dans le cadre du festival Musica, qui pose ses valises à Nancy le temps d’un week-end (30/09-02/10) – festivalmusica.fr
> À Musica, Silvia Costa met aussi en scène La Femme au marteau (27/09, Le Maillon, Strasbourg), récital théâtral autour de la figure de Galina Ustvolskaya – festivalmusica.fr