Lignes de fuite
À l’occasion de la douzième édition du festival C’est dans la Vallée, Rodolphe Burger et Philippe Poirier revisitent le catalogue de Kat Onoma en compagnie d’invités… dont leurs fistons. Entretien croisé entre Philippe et Roméo Poirier.
Le Velvet Underground a une importance capitale pour Kat Onoma… Comment en êtes-vous venus à la musique ?
Philippe. Mon premier concert de rock a été celui des Beatles à L’Olympia en 1964, j’avais 13 ans et j’ai ressorti d’un placard une guitare espagnole abandonnée par mes parents. Il y eu ensuite les fameux musicoramas1, toujours au même endroit, où j’ai été émerveillé par Hendrix et Otis Redding. Lou Reed et le Velvet sont venus bien plus tard, à la fin des années 1970, après la free-musique et Ornette Coleman. C’est précisément à ce carrefour du rock et de l’improvisation que s’est trouvé Kat Onoma.
Roméo. C’est à travers Kat Onoma que je suis rentré dans la musique, étant présent aux concerts, enregistrements et répétitions. J’étais en total accord avec le groupe, au point d’avoir été très déçu la première fois que j’ai écouté le Velvet Underground.
Roméo, pourquoi avoir choisi de “faire comme papa” ?
Roméo. Bien sûr, je me suis posé la question de ma légitimité en tant que musicien, et pas qu’une fois. Mais il y a toujours eu la musique, et cette attirance qui est plus forte que le doute. Je ne suis pas contre lui, mais en parallèle ou en continuité.
Philippe. Roméo et moi avons joué ensemble depuis sa tendre enfance. Souvent j’étais au piano et Roméo à la batterie. Curieusement, je n’avais pas le sentiment de jouer avec un enfant. Je jouais avec lui comme avec mes amis musiciens et nous avons d’ailleurs gardé par miracle cette relation que je qualifierais d’“artistique” et qui nous fait toujours jouer et composer ensemble. Bien sûr que Roméo s’est posé la question du déterminisme, mais il a dû se sentir assez musicien pour que ce choix lui appartienne entièrement.
Pourquoi avoir convié Roméo et Simon (Burger) à participer à Play Kat Onoma, concert de relectures des morceaux du groupe ?
Philippe. Kat Onoma, mais aussi ce que représente la musique comme engagement, a influencé fortement nos vies et la relation que nous avons avec nos enfants. Il était naturel qu’ils viennent eux aussi apporter leur contribution sur quelques morceaux du concert.
Le morceau Triangles allongés de Philippe ressemble à un clin d’œil à Trans Europe Express de Kraftwerk…
Philippe. Les deux morceaux appartiennent à la catégorie des “train songs”, ces innombrables chansons qui parlent de trains ou qui sont scandées par leur rythme. Dans le blues en particulier, il est fréquemment question de voyages, d’errances, d’amours partis ou d’autres que l’on retrouve. Sur les rails s’étire une rêverie pensive du temps qui s’accorde bien à celle du temps musical.
Quel impact ont les héritiers de Kraftwerk (To Rococo Rot…) sur votre travail ?
Philippe. J’entretiens des liens très étroits avec Stefan Schneider de To Rococo Rot et Ronald Lippock & Bernd Jestram de Tarwater qui ont produit mes deux albums précédents à Berlin.
Roméo. Grâce à mon père, j’écoute To Rococo Rot depuis longtemps, mais ce n’est que depuis que je fais de la musique électronique que je suis tombé sous le charme de ce “groupe palindrome”, autant que sous celui de Andrew Pekkler, Jan Jelinek, Farben, Mapstation, September Collective, Denzel & Huhn. Cette vague allemande est une énorme inspiration.
Certaines chansons de Philippe peuvent partir du détail d’un tableau, d’une impression laissée par une œuvre…
Philippe. Quand des objets visuels ou sonores nous touchent, c’est pour la même raison : ils ont une façon de s’adresser à nous dans une langue inconnue mais qui nous est cependant familière. La musique, sur ce registre, est imbattable, elle arrive à être expressive sans rien dire alors que les mots et les images ont un mal fou à se retenir d’en dire trop, d’être pathétiques et banals. À l’inverse, quand ils ont réussi le prodige du poème, la musique peut alors résonner librement avec eux.
Roméo. Contrairement à mon père, je n’ai pas toute cette culture des arts plastiques. En revanche, nous avons en commun le goût de la contemplation : se tenir à un endroit assez longtemps, jusqu’au moment où chaque détail prend sens et entre dans la composition d’une image en mouvement.
Des Triangles allongés de Philippe aux Vecteurs de Roméo, pourquoi tant de géométrie ?
Philippe. Les espaces, les paysages se glissent entre les individus qui, en se déplaçant, créent des lignes de force et modifient les topographies. Décrire des sentiments à l’aide de la géométrie est apaisant et ne fait perdre en rien toute l’émotion contenue dans nos pensées. Deux personnes amoureuses, par exemple, dont l’une est dans un train traversant une plaine et l’autre au milieu de celle-ci, et dont les regards se croisent, dessinent, avec le mouvement du train, de beaux triangles s’allongeant, ce que la musique réussit à exprimer, mieux que toute autre forme d’écriture.
Roméo. Cette géométrie est une idée qui accompagne une forme musicale. Aujourd’hui, mon projet électronique s’appelle Swim Platførm : une manière d’orienter ma musique vers l’eau, de réfléchir aux surfaces.
Play Kat Onoma & Guests, à Sainte-Marie-aux-Mines, au Théâtre, vendredi 9 octobre Roméo Poirier & Lars Haga Raavand (poète norvégien), à Sainte-Marie-aux-Mines, à la piscine municipale, dimanche 11 octobre www.soundcloud.com/swim-platform Les Triangles allongés, album de Philippe Poirier édité par le label strasbourgeois Herzfeld Vecteurs et forces, album de Roméo & Sarah sorti par Herzfeld EP Surfaces, édité par le label londonien Kit Records