L’éternité et un jour
Si Samuel Rousseau[1. Né en 1971 à Marseille, Samuel Rousseau est connu en Alsace pour son projet monumental Helioflore, installation lumineuse aménagée sur les parois du château d’Andlau – www.samuelrousseau.com], exposé au CEAAC, ne cherche pas à « brasser la merde mondiale » grâce à ses œuvres, il représente – certes avec humour et poésie – les hommes comme des fourmis et la société en broyeuse. No future ? Non, la vie poursuit son cycle.
« Un squatter qui travaille pour Hermès. » C’est ainsi que cet ex-Rmiste (« le RMI est la meilleure subvention jamais allouée aux artistes ») de longue durée, sélectionné par le prestigieux prix Marcel Duchamp en 2011, se définit. Le cul entre deux chaises. À la fois porte drapeau du (feu) Brise-Glace, atelier alternatif grenoblois, et créateur d’une vidéo mettant en scène une collection de cravates pour la luxueuse griffe parisienne, Samuel Rousseau décrit un monde trop vaste et complexe pour nous, pauvres êtres sans repères qui cherchons à nous en sortir, comme son P’tit Bonhomme. Ce personnage dans une projection mise en boucle tente en vain de grimper sur l’escalier du CEAAC, tel Sisyphe. Symbolise-t-il la condition du plasticien ? Il s’agit plutôt d’une métaphore de la vie, même si Samuel Rousseau avoue volontiers que « c’est dur d’être artiste. Il faut la foi, l’acharnement de P’tit Bonhomme. Parfois, la critique te casse en deux et tu mets quinze jours à t’en remettre. » Rousseau a opté pour ce « métier » parce qu’il lui offre une grande indépendance. « Ma liberté est ce qu’il y a de plus important. Si on devait comparer la culture à une pyramide, l’art serait le sommet, ce qu’il y a de plus aiguisé car il ne répond à aucun critère, à aucune demande », affirme cet autoproclamé « clown » et « petit-fils de Duchamp », prêt à faire le pitre en public, mais considérant très sérieusement son domaine. « L’art est vital pour notre âme… après une bonne choucroute », s’amuse-t-il.
Une démarche politique
Ainsi, Samuel Rousseau, qui apprécie lorsque son travail lui échappe, octroie plusieurs niveaux de lecture à ses pièces. Chemical house, non présente au CEAAC – une foule de personnages vidéo se pressant dans des plaques de médicaments – nous évoque la représentation de l’enfermement de l’homme devenant malade ? Lui parle plutôt d’agents actifs capables de guérir. Soit, mais difficile cependant de ne pas voir la monstrueuse projection vidéo sur un bas-relief Brave old new world – assemblage de buildings en mouvement formant une sorte de vaisseau spatial / usine à gaz – comme l’image de la ville qui avance en broyant les êtres humains ? Samuel Rousseau acquiesce : « Brave old new world, c’est New York, la capitale du monde. Les mégalopoles sont des rouleaux compresseurs. Si tu trébuches, tu es réduit à néant. » Nous songeons aussi à son Lessive raciale (non présente au CEAAC), machine à laver et essorer les hommes. « Je suis en réaction face au monde. Plus jeune, j’étais dans des groupuscules d’extrême gauche où on faisait de la politique à grands coups de manches de pioche… L’art est une meilleure façon de résister face au monde qui te contraint. » Sans pour autant chercher à rendre son travail « attractif » ou pur plaisir rétinien, il essaye de s’adresser « à tout le monde, dans n’importe quelle frange de la société, ici ou à 15 000 kilomètres de chez moi. » Son vocabulaire est riche, mais la technique reste discrète car « le médium n’est que le véhicule de l’idée », il est mis au service d’une forme épurée. « Plus tu es pur, plus tu ouvres les champs », selon celui qui aime à répéter : « J’essaye de faire des images mentales, de petites graines qui vont se figer dans le cerveau et se développer de façons différentes, en fonction des gens. »
Un art « gentil »
Au premier étage de la salle d’exposition, nous découvrons deux très belles œuvres : Un peu d’éternité (qui pourrait être un hommage à Gerhard Richter et aux vanités en général) et Sans titre (l’arbre et son ombre), sortes de haïkus en trompe-l’œil. La première met en scène une chandelle éteinte. Grâce à un tour de passe-passe artistique, son ombre devient incandescente. Jeu entre réel et virtuel, toujours, avec l’arbre miniature dont le reflet montre son cycle de vie, saison après saison, le principe de la vidéo en boucle rendant le végétal immortel, éternel. Car si le monde dans lequel nous évoluons n’est pas bien beau, ça n’est pas de la faute à Rousseau qui cherche au contraire à y glisser de l’imaginaire. L’artiste revendique le fait de réaliser, parfois, des « œuvres gentilles ». Durant l’expo, le visiteur se trouve immergé dans une Constellation de baisers, au milieu d’innombrables bouches qui semblent vouloir l’embrasser… peut-être pour le consoler de sa situation inconfortable, au pied de cette Montagne d’incertitude (pièce montrant « le corps face à la verticalité » et la difficulté) qu’il tente tant bien que mal de gravir.
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