Les yeux de la forêt
L’exposition Headbangers Ball – Porteur de lumière de Damien Deroubaix1 au MAMCS convie à pénétrer dans son crâne, à la découverte des fantômes qui le hantent et des artistes qui l’habitent.
Désastres de la guerre, cavaliers de l’apocalypse et triomphe de la mort. Profonde noirceur du monde et barbarie ne cessant de nous assaillir. Caméras de surveillance orwelliennes, crapauds cannibales, drapeaux de Daech, idoles maléfiques, figures écorchées, foetus siamois et phallus dominants. Miradors et barbelés. Squelettes humains et Totenkopfs du IIIe Reich. Pénétrer dans l’univers dark de Damien Deroubaix équivaut à entrer dans une danse macabre sur fond de brouhaha death metal en gobant des amanites phalloïdes ou à plonger la tête la première dans un ban de requins affamés. Julie Gandini, qui a commissionné l’exposition, nuance, attribuant à l’artiste les qualités d’un Porteur de lumière : « Nous avons choisi de montrer des oeuvres récentes, dont certaines réalisées expressément pour le MAMC+ de Saint-Étienne2. Il est dans une phase nettement plus apaisée. L’urgence et la rudesse de son langage visuel passé au vitriol s’estompent. » Tandis que le plasticien aujourd’hui installé à Meisenthal règle quelques détails liés à l’éclairage au cours du montage à quelques jours du vernissage, la conservatrice du Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg précise : « Ses pièces revendiquent une filiation. On y retrouve des thématiques et sujets innervant l’Histoire de l’Art : le nu, le paysage, la nature morte… Son travail donne à voir ce qu’il y a de violent, qu’on préfère ne pas regarder en face, mais aussi la poésie du monde. Il joue un rôle de révélateur. » Devant un vigoureux Arbre criblé d’yeux (huile et collages sur toile), Deroubaix acquiesce : « Le chaos est à l’origine de la peinture. L’apocalypse permet un déchirement du voile qui laisse apparaître la lumière. Il faut détruire pour recréer », gratter la matière sombre pour que s’échappe la clarté du ciel et le sublime d’une nature sauvage. Le bois – « en tant que matériau et matrice » – se trouve au centre d’une exposition ayant l’apparence d’un chemin forestier qu’on arpente parmi des toiles représentant des bosquets (avec papillons et, même, un arc-en-ciel), plaques de contreplaqué noir gravées ou sculptures taillées dans le tilleul.
Trash mental
Enfant de Jason et les Argonautes et des photomontages anti-nazis de John Heartfield, d’Otto Dix et d’Iron Maiden, de Max Beckmann et de Beavis & Butt-Head, du No Future punk et des scènes de nativités, des musées et de MTV, celui qui vécut longtemps à Berlin cite ses sources, notamment dans la série des “Têtes”. Dans ces autoportraits peints à l’huile (il a mis l’aquarelle de côté, gagnant en luminosité et en couleurs), il représente ses « obsessions » pour Slayer, Delacroix (La Mort de Sardanapale) ou Picasso (Guernica) sur le front de visages à la bouche barrée par une fermeture éclair. Si l’artiste ne compte pas arrêter « de montrer la merde dans laquelle on vit et de dénoncer le capitalisme outrancier », ce chamane des temps modernes se concentre sur l’essentiel dans ses derniers travaux : la nature (parfois hostile), les espèces (en voie de disparition) et bien sûr les oeuvres qui le portent et qu’il vampirise. Il se permet des emprunts, réalisant des copier / coller : de la chauve-souris gravée par Goya qui volète un peu partout sur ses toiles, de la Pisseuse de Rembrandt devenue figure récurrente chez lui, de la statuette antique du Démon Pazuzu (vers 700 avant J.-C.) ou encore du cheval rachitique de Brueghel (hyper membré chez Deroubaix) décliné sur My Journey to the Stars, puis s’échappant de la toile, en 3D, avec la sculpture Ride the Wings of Death faite de bois et de jute, de rouille et d’os.
Au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, jusqu’au 25 août
1 Voir Poly n°141
2 Oeuvres exposées du 1er décembre au 24 février 2019 à l’occasion de la carte blanche laissée à Damien Deroubaix – mamc.saint-etienne.fr