Pendant une résidence de travail à La Nef, le comédien Sharif Andoura a créé Al Atlal (Les Ruines), théâtre musical qui se tisse autour d’une chanson éponyme d’Oum Kalsoum.
Né d’un père syrien et d’une mère belge, Sharif Andoura, formé à l’École du TNS, fut interpelé, secoué, par les “Printemps” qui ébranlent la Tunisie, l’Égypte ou la Syrie depuis une poignée années. « Ça faisait un moment que j’avais envie de parler du monde arabe autrement, de pouvoir l’amener sur un plateau de théâtre. L’imagerie médiatique banalise l’horreur et crée de l’indifférence », regrette-t-il. Sharif s’est naturellement tourné vers deux figures majeures : Oum Kalsoum, « chanteuse mythique, la quatrième pyramide d’Égypte, que j’ai beaucoup écouté, enfant », et l’auteur palestinien Mahmoud Darwich, via deux textes, Une mémoire pour l’oubli, « qui raconte une journée à Beyrouth en août 1982, sous les bombardements », et Le Lanceur de dés, « qui questionne la place du poète ». Il s’empare d’Al Atlal, titre au long cours (une heure !) de la diva du Caire parlant d’un amour en ruines (« Une citadelle imaginaire qui s’est effondrée », disent les paroles) et fait le parallèle avec les décombres de la guerre.
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Le spectacle débute par la diffusion de la chanson, avant que les notes de Camel Zekri, musicien qui accompagne Sharif, envahissent le plateau. Parfois, le comédien, traduisant le texte de la cantatrice en français, et son acolyte s’éloignent du morceau qui est « comme un serpent de mer, venant et disparaissant » par intermittences. Des brèches s’ouvrent et les mots de Darwich vibrent. « Il envisage la ruine comme ce qui demeure, ce sur quoi on construit. Son rapport au corps, au désir et à l’espoir crée une pulsion de vie. Le poète ne fait jamais de constat mortifère : avec lui, on sait qu’une reconstruction est possible. » Et de citer l’auteur : « “Si je sors de chez moi le matin et que le ciel est gris, mais que je vois pointer une rose sortant de la fissure d’un mur, je me dis quel jour magnifique !” Voilà qui résume sa philosophie de la vie. »
Pour Sharif Andoura, écrivant ici son premier spectacle (dont il a confié la mise en scène à Matthieu Cruciani), « c’est important de construire des ponts » à une époque où l’on a « tendance à cliver », où des murs culturels et sociaux s’érigent. Durant Al Atlal, il prend place dans un décor évoquant une scène de concert délabrée d’Oum Kalsoum afin d’explorer le Moyen-Orient, loin des poncifs. « C’est une thématique qui résonne en moi et j’avais envie de prendre la parole. Pourtant, je suis né en Belgique et l’arabe n’est pas ma langue maternelle. “Qui suis-je pour vous dire ce que je vous dis ?”, se demande Darwich dans Le lanceur de dés, un de ses derniers poèmes, sur le destin. “Je ne suis qu’un lanceur de dès : parfois je gagne, parfois je perds” », reprend-il humblement à son compte. 03 29 52 66 45