Les vestiges du chaos
Regroupant des acquisitions récentes du Frac Alsace, l’exposition Parmi les floraisons du ciel incertain, commissionnée par Emmanuel Guigon, fait l’effet d’un petit séisme. Gare aux secousses.
Olivier Grasser ayant quitté le Frac Alsace, celui-ci est un peu orphelin, dans un entre-deux, un flou artistique accentué par la fusion des régions. Quel avenir pour les trois Fonds régionaux d’Art contemporain – Alsace, Champagne-Ardenne, Lorraine – se retrouvant simultanément sans directeur ? Comment vont-ils travailler ensemble ? Ne formeront-ils plus qu’une seule entité, avec une tête et trois corps ? Malgré les incertitudes, durant discussions et réflexions, les expositions continuent !
Ainsi, le Frac Alsace a confié le commissariat de Parmi les floraisons du ciel incertain à Emmanuel Guigon, directeur délégué de la programmation des Musées de Besançon et membre du comité technique d’achat du Frac Alsace. Invité par Pascal Mangin, président de l’institution, il a voulu construire un propos sur l’état du monde actuel, « entre ordre et chaos ». Le titre de l’exposition – extrait d’un poème de Jean Arp – aurait pu être Les Tremblements du ciel : ce que l’on perçoit avant, pendant ou après un séisme. Les artistes sont des radars ultra-sensibles qui réagissent aux bouleversements. Pour Emmanuel Guigon, ils « projettent des floraisons dans un ciel incertain. Ils construisent des cités minuscules, des ruines nostalgiques, rebâtissent des villes, procèdent aussi à des destructions massives. » Les plasticiens tiennent compte de la situation critique et tentent de la transcender, d’aller vers un renouveau, de créer sur les vestiges du chaos. C’est le cas d’Alberto Burri qui, dans la seconde moitié des années 1980, a érigé II Grande Cretto, entre œuvre d’art et mémorial réalisé à Gibellina, en Sicile, plus d’une quinzaine d’années après un violent tremblement de terre meurtrier et destructeur. Il s’agit d’une cité labyrinthique de béton, une ville fantôme où Raphaël Zarka a tourné sa vidéo, Gibellina Vecchia, étrange flânerie dans cette sculpture habitable.
Stupeur & tremblements
Le monde est à feu et à sang, mais la vie poursuit son cours. C’est le message que semble vouloir faire passer Ziad Antar à travers sa vidéo Safe Sound qui décrit le quotidien de sa famille durant la guerre opposant Israël et le Hezbollah en 2006. « Il est sur son balcon, au Liban. On voit les rues de Saïda, des voitures passer, mais on entend des tirs, on perçoit des éclairs, des tremblements dans le ciel, des signes de la guerre qu’on voit passer. »
Les seize auteurs des 32 œuvres exposées captent l’air du temps et reconstruisent à partir de ce qui est détruit, remodèlent les contours de nos espaces de vie, inventent un monde à partir de l’existant, comme Pierre Bismuth qui empile la célèbre Villa Savoye du Corbusier pour imaginer un immeuble collectif. Dans un geste humoristique, « il va vers le haut » en créant un étonnant gratte-ciel moderniste, comme une anomalie architecturale.
Un nouveau monde
Sur fond de catastrophe, les plasticiens « inventent des utopies ». Parmi les floraisons du ciel incertain s’ouvre sur une immense structure de Felix Schramm, « sorte de chaos qui envahit l’espace ». Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’une démolition, « mais d’une expansion sans fin », insiste Emmanuel Guigon. Mathieu Pernot quant à lui, avec sa série photo documentaire Les Implosions, montre des barres d’immeubles que l’on dynamite quelque quarante ans après leur édification. Il s’agit de témoignages d’une utopie des années 1960 où l’on rêvait d’un habitat idéal. De grandes cités ouvrières qui n’ont pas tenu leurs promesses… Nous vivons dans un vaste chantier qu’il faut poétiser, un champ de ruines où l’on doit élever de nouvelles bâtisses. Une société à réinventer, à recycler. La mener vers l’évasion, l’élévation. « On peut construire un monde nouveau avec ses détritus, les rebuts de la société », inventer de jolies formes en se basant sur des éléments qui peuvent faire froid dans le dos. Laure Tixier, avec Map with a view, part de plans architecturaux de prisons du XIXe et XXe siècle pour en faire des dessins pouvant évoquer László Moholy-Nagy, Rodchenko ou Paul Klee. Difficile, dès lors, de deviner que l’on se trouve face à des structures carcérales, dédiées à l’enfermement… Une « ambiguïté qui est au cœur de l’exposition. »
www.culture-alsace.org