Les Statues meurent aussi
Christian Botale-Molebo, plasticien-performer et chorégraphe installé à Strasbourg, entre en résidence à Pôle Sud. Il y poursuit KOK-LAT-VIL, création autour de l’héritage qui nous entraîne dans une tragédie familiale du voyage, de Kinshasa à Strasbourg, via la Belgique.
« Je rêve d’une nuit blanche à plusieurs », voilà comment Christian Botale-Molebo imagine son futur spectacle. « Trois danseurs-performers congolais et un conteur-narrateur haïtien m’accompagneront pour donner corps à ces voix que je cite depuis longtemps dans mon travail. » Né en 1980 dans la capitale zaïroise de Mobutu qu’il quitta en 2009 pour la France, cet habitué des solos et des actes performatifs (avec Brett Bailey, Steven Cohen[1. Lire nos articles sur Exhibit B dans Poly n°163 et Steven Cohen dans Poly n°177]…) continue d’explorer le Testament de l’artiste dans son héritage, titre de son mémoire à la Haute École des Arts du Rhin (2012). Avec ses comparses, ils feront revivre symboliquement son village paternel de la province de l’Équateur en RDC, dans lequel il n’a jamais pu se rendre, même depuis la disparition de son père, peu de temps après son départ pour l’Europe. Ce vide déclencha l’envie et le besoin d’un retour – même symbolique ou sensoriel – au pays natal, sur les traces de celui qui traversa le siècle, vivant la domination par la force des colonialistes en même temps que la chance de s’asseoir sur les bancs de l’école belge.
À 28 ans, Botale Bolembo Is’osala Louis décide de rejoindre la capitale, Kinshasa. Un long exode en pirogue, en train, à pied. Des semaines de marche pour un voyage qui ne connaîtra jamais de retour en 50 ans. Élevé dans le clan Ekonda des Mongos, cet arrière-petit-fils d’un missionnaire belge nommé Van Bothall – dont ses descendants changèrent le patronyme en Botale (“immense” en lingala) à l’époque du retour à l’authenticité africaine prônée par Mobutu – était un lettré clair de peau et fervent catholique qu’il mâtinait de rites bantous. Toute sa vie d’agent postal, il tint en cachette un journal intime, décrivant par le menu le système colonial le long du fleuve Congo, assoiffé de matières premières (or, bois, caoutchouc), l’ascension radicale de Lumumba et le joug sanglant de Mobutu à propos duquel il se fit moins disert, sûrement gagné par la peur. Christian découvre tout cela en 2010, lorsqu’avec sa mère ils ouvrent les tiroirs de son bureau. Naît une irrépressible envie de réappropriation, d’autant plus forte qu’il partage avec son père disparu l’exil et la paternité. L’artiste se rend à Bruxelles sur les traces de leur aïeul, sans succès. Mais il découvre l’immense collection de Nkisis[2. Sculptures anthropomorphes activées par des féticheurs] du Musée royal de l’Afrique centrale en banlieue de Bruxelles, lui qui n’en avait quasiment jamais vu alors qu’elles font partie du patrimoine de son pays. Il décide de sculpter les siennes, qu’il place au cœur de son travail corporel tenant tout à la fois de l’installation, de l’acte performatif que de la chorégraphie.
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