Pour leur huitième édition, les foisonnantes Rencontres de l’illustration donnent le crayon aux femmes, entre pionnières, artistes établies et nouvelle garde, faisant de Strasbourg leur lieu à elles.
Comment faire son trou, ou plutôt prendre sa place, dans le monde de la BD ou des arts, quand on est une femme ? Avec pour thème “Femmes, identités, visibilités”, les Rencontres de l’illustration multiplient les pistes. Déployées dans plus de trente lieux de l’Eurométropole, elles accueillent en outre en leur sein la 13e édition du festival Central Vapeur, indispensable association œuvrant, grâce au travail titanesque de ses fondatrices et chevilles ouvrières, à l’essor de la création dessinée dans la capitale alsacienne. Protéiforme et dense, la programmation croise nouvelle garde et artistes confirmées, qui toutes se sont vues invitées à partager la manière dont elles « s’écrivent, se réinventent et s’autorisent » – pour citer la théoricienne du féminisme Bell Hooks. Dans ce tourbillon de traits, de couleurs et de voix, on craque pour l’exposition présentant l’univers tentaculaire et vertigineux de la virtuose Léa Murawiec, pas encore trente ans (Médiathèque André Malraux, 16/03-29/04). La scénographie, immersive, est signée des éditions strasbourgeoises 2024, où est paru son bluffant premier roman graphique, Le Grand Vide (prix du Public l’an dernier à Angoulême). Le visiteur s’y trouve plongé au coeur de la mégalopole décrite dans l’album à coups de plume et d’encre de Chine, avec ses buildings qui donnent le tournis, saturés de panneaux affichant noms et prénoms dans tous les formats et caractères. C’est que, dans cette dystopie menée tambour battant, la vie tient au seul fil de la popularité : les gens ne survivent que si d’autres pensent à eux.
Autre temps fort, le Dialogue de dessins (Menuiserie Coop, 16/03-02/04) orchestré entre la Strasbourgeoise Nygel Panasco – pépite diplômée de la Hear, dont le travail questionne avec délicatesse et acuité la représentation des corps et des identités noires – et l’illustratrice plasticienne bruxelloise Dominique Goblet. Dans le ping-pong que les deux se sont livrées à distance, en s’envoyant dessin après dessin, l’expérimentatrice de génie, autrice de l’inoubliable Faire semblant, c’est mentir (L’Association, 2007) et lauréate du Grand Prix Töpffer pour l’ensemble de sa carrière, suit, en dix panneaux A3 peints à la gouache, une majorette qu’on dirait sortie d’un étrange univers parallèle. On ne saurait d’ailleurs trop recommander d’assister à sa conférence, Entre bande dessinée et art contemporain (Auditorium de la Hear, 23/03, 17h), sur les multiples formes possibles de la narration crayonnée !
Au Musée Tomi Ungerer, la star Catherine Meurisse revient quant à elle sur son parcours (Une Place à soi, 17/03-03/09), entre les débuts à jouer des coudes avec les mentors trublions de Charlie Hebdo (Cabu, Wolinski, Charb, etc.) et la poésie des très littéraires romans graphiques des dernières années, jusqu’à l’élection à l’Académie des Beaux-Arts – s’il vous plaît ! –, une première, pour le monde jusque-là trop dédaigné de la BD. Plus étonnant encore, le Cabinet des Estampes et des Dessins présente, pour la première fois, une sélection de gravures sur bois, cuivres, etc., réalisées par d’impressionnantes pionnières entre le XVIe et le XIXe siècle, telles la maniériste italienne Diana Mantuana (1547-1612) et la Strasbourgeoise Marie Electrine Stuntz (1797-1847), probablement la première femme lithographe au monde. Sans oublier les planches originales en forme de douce et poétique contemplation de Léontine Soulier sur la découverte de la grossesse et la décision de ne pas devenir mère, dont l’exposition (Nauplius, 16/03-15/04) inaugure un cycle d’actions à l’Espace Égalité de genre de la Médiathèque Olympe de Gouges. Enfin, on attend avec impatience le fight club graphique Battlestar entre deux équipes de quatre illustrateurs prêts à en découdre feutre au poing (Cinéma Star St-Exupéry, 17/03, 20h30), ainsi que le parcours d’affiches signé du vingtenaire Joseph Levacher (Quai des Bateliers, 16/03-02/04). Imaginé à partir de La Légende des Champs de Feu, premier ouvrage du Normand paru aux éditions Magnani en 2022, on y suit les aventures de Silence, Tendresse et Courage, trois copaines fuyant la vallée corrompue des Champs de Feu, mise à sac par le cupide et brutal mâle alpha nommé Mercan. Quant aux inconditionnels du neuvième art, encourageons-les à franchir le Rubicon de la frontière helvète pour visiter celle qui s’annonce comme une rétrospective-événement dans la région, dédiée au Godfather du graphic novel, monsieur Will Eisner (Cartoonmuseum, Bâle, 11/03-18/06).
Dans divers lieux de l’Eurométropole de Strasbourg du 16 mars au 2 avril
illustration.strasbourg.eu – centralvapeur.org