Les Huit piliers de la sagesse

S’il aura fallu près de dix ans pour que les musulmans strasbourgeois disposent d’un lieu de prière digne de ce nom, la Grande Mosquée de Strasbourg, dessinée par Paolo Portoghesi, dévoilera bientôt ses charmes intérieurs. Reportage en pleines finitions.

© Stéphane Louis pour Poly

Dans le droit local d’Alsace-Moselle, issu du Concordat, demeurait une part d’ombre. Les cultes catholique, luthérien, réformé et israélite bénéficient d’un financement public. Les musulmans, 10% de la population actuelle, étaient le parent pauvre du système. La mise à disposition par la Ville de Strasbourg d’un terrain de 10 187 m2 par le biais d’un bail emphytéotique et la participation des collectivités locales (la Ville à hauteur de 10%, le Conseil général du Bas-Rhin et le Conseil régional d’Alsace à 8% chacun) au financement de la Grande Mosquée ont comblé le fossé séparant les cultes. Et surtout, permis à tous ces croyants de, prochainement, sortir des caves, hangars et autres préfabriqués dans lesquels ils étaient jusqu’ici confinés. Mais qu’on ne se leurre pas, si « le temps des polémiques électorales est fini, le chemin aura été long et tortueux », constate Saïd Aalla, président de la Grande Mosquée.

La Grande Mosquée de Strasbourg © Stéphane Louis pour Poly

Sous les fourches caudines
En 1999, le conseil municipal de Strasbourg votait une délibération allouant le terrain en vue de la construction de l’édifice. Quelques mois plus tard, l’association portant le projet organisait un grand concours d’architecture dont le but était « d’offrir à la Capitale européenne un bâtiment à sa dimension ». De grands noms comme Jean-Michel Wilmotte ou encore Zaha Hadid proposent des projets. C’est finalement celui imaginé par l’italien Paolo Portoghesi – déjà auteur de la Mosquée de Rome au milieu des années 1970 – qui rallie les suffrages. La première pierre est symboliquement posée en 2004, mais il faut encore attendre deux ans pour que les travaux débutent réellement car l’alternance municipale de 2001 a rebattu toutes les cartes, le tandem Keller-Grossmann étant peu enclin à voir l’édifice sortir de terre.

La Grande Mosquée de Strasbourg © Stéphane Louis pour Poly

La municipalité retarde tant que possible les choses, imposant « beaucoup plus de modestie au projet initial », confie Saïd Aalla dans un sourire qui en dit long. « L’architecte a dû réduire la taille de la salle de prière, supprimer le parking souterrain, l’espace culturel adjacent devant accueillir une bibliothèque et permettre d’organiser des conférences, mais aussi le salon de thé rendant ce lieu plus accueillant et ouvert sur l’extérieur. Le minaret, catalysant les critiques les plus vives, a lui aussi disparu. » Le refus initial de participations financières étrangères mettait aussi du plomb dans l’aile aux finances de la Grande Mosquée. Finalement, le retour aux affaires du PS avec l’élection de Roland Ries en 2008 relance tout. Les collectivités locales apportent environ un tiers des 8,7 millions d’euros de budget, le Maroc, le Koweit et l’Arabie Saoudite le second tiers et enfin les dons des fidèles et les différentes quêtes le reste.

Huit pétales de rose
Ouverte le 1er août 2011 pour le Ramadan, la Grande Mosquée a refermé ses portes juste après, afin de terminer les travaux d’aménagement intérieur et de décoration. Depuis quelques mois, chacun peut admirer l’immense dôme de cuivre (20 mètres de haut et 16 de diamètre) de couleur rouge tirant sur le brun. Avec le temps, il s’oxydera pour prendre une teinte verte se mariant parfaitement avec le beige clair de la façade et des huit piliers externes entourant la coupole et formant autant de pétales de rose s’étirant vers l’extérieur. Le grès des Vosges complétant le tout ancre l’édifice dans son environnement. Une fois l’entrée passée, nous sommes stupéfaits par la largeur de la salle de prière principale. Aucun pilier porteur ne vient brouiller la vue. « Une première dans le monde que cette architecture dont la technique est empruntée aux ponts suspendus », explique Saïd Aalla. « L’absence d’obstacles physiques renforce l’impression de flottement, de douceur et de respiration de la coupole dans un très harmonieux arc de cercle. » Ses 135 tonnes (avec la charpente) sont supportés par les piliers extérieurs et les tirants aériens qui les relient.

Calligraphies et zellige © Stéphane Louis pour Poly

Paolo Portoghesi a distribué les espaces avec doigté : des salles d’ablutions symétriques, dotées d’un puits de lumière, sont réparties de part et d’autre de l’entrée principale, un ascenseur et des escaliers desservent une mezzanine de 250 m2, futur lieu de prière réservé aux femmes qui offre une vue plongeante sur le Mihrab (niche pratiquée dans la muraille d’une mosquée, orientée vers La Mecque, où se place l’imam). Mi mars, des artisans arrivés de Fès en janvier terminaient la patiente pose, à la main, de quelques 400 000 pièces colorées de zellige, carreau d’argile émaillée, façonné manuellement, dont le décor crée un assemblage géométrique faits de tesselles de mosaïques posées sur un lit de plâtre. Ils s’attèleront ensuite aux 100 000 autres habillant le Mirhab. Des frises en plâtre blanc surplombent le tout. La Sourate 24 du Coran – An-Nur, La Lumière – est sculptée à la main dans une sublime calligraphie de style kufique sous les immenses tubes soutenants la coupole. Son fond sera peint dans la même couleur bleu ciel, l’écriture prenant des atours dorés. Comble de la modernité, quatre écrans retransmettront en direct les prêches et conférences donnés aux fidèles.

500 000 pièces à poser, une à une, comme une mosaïque © Stéphane Louis pour Poly

Un système de traduction dernier cri (Arabe, Français et sous-titrage pour malentendants) complète le dispositif. D’imposants lustres de quatre mètres de diamètre descendront du plafond, des moucharabiehs serviront de séparation selon les besoins et un tapis, tout en sobriété, recouvrira au dernier moment le sol. La Grande Mosquée de Strasbourg devrait ouvrir ses portes à l’été. Pourront alors débuter de nouveaux projets : la réactivation de l’espace culturel et, « pourquoi pas, le minaret, si nous trouvons les fonds nécessaires », précise Saïd Aalla.

La Grande Mosquée de Strasbourg se situe rue de la Plaine des Bouchers
www.mosquee-strasbourg.com
vous pourriez aussi aimer