Les frères Guerry aux commandes de 18’34”, à Strasbourg
Hymne au lâcher-prise signé par les frères Thomas et Bertrand Guerry, 18’34’’ présente l’histoire d’un collégien harcelé pour avoir fini dernier au cross de son école.
Quelles conséquences peuvent bien générer un traumatisme d’enfance ? Comment peut-il affecter le comportement dans la vie adulte ? Après avoir étudié les allées et venues de voyageurs enfermés dans le hall de l’Hôtel Bellevue (2021), pièce dans laquelle Thomas et Bertrand Guerry se penchaient déjà sur la relation entre danse et vidéo, le duo de chorégraphe et réalisateur s’empare de nouveau de ces deux médiums pour explorer une autre facette de la condition humaine. Dix-huit minutes et trente-quatre secondes, c’est très exactement le temps qu’il a fallu à Eliott pour terminer le cross de son collège et décrocher… la dernière place. « Tout a commencé le 14 octobre 1995 », clame David Arribe, qui campe le rôle de l’adolescent. Vêtu d’un bonnet rouge et du dossard n°254, il nous fait revivre cette fameuse course, trottinant sur place, bientôt pris d’un malaise. En fond de scène, sur des rideaux en accordéon, des clips d’enfants lancés à vive allure sont projetés, accentuant son calvaire. Éclats de rire et palpitations cardiaques se font entendre, de plus en plus forts, jusqu’à ce que tout s’arrête. « Ce jour-là, j’ai compris que la vitesse n’était pas mon truc », résume-t-il.
Jusqu’ici discrète, la lumière s’intensifie et les décors se précisent, révélant une machine à café, le vestiaire d’un gymnase ainsi qu’un mur de briques, sur lequel le tag « Eliott = boulet » ressort effrontément. Alors que le jeune homme braque son regard dessus, une caméra filme en direct sa réaction. Quatre danseurs font irruption, l’entraînant dans une courte valse humiliante où les gros plans renforcent un furieux sentiment d’anxiété. Puis ils enchaînent des mouvements brusques, saccadés, ultra-rapides, tandis qu’Eliott se déplace avec lenteur et maladresse. Et s’il avait fini avant-dernier ? Cela aurait-il changé quelque chose à sa vie ? Dès cet instant, le comédien fait cohabiter deux versions du personnage : le premier, qui n’a pas une minute à lui et court dans tous les sens, le téléphone collé à l’oreille, au milieu de corps aux gestes convulsifs. Le second, flegmatique au possible, tournoie doucement autour de son balai. La chorégraphie s’apaise, les interprètes décrivent de lentes roulades au sol, leurs membres devenant étrangement flasques. En un mot, ils prennent leur temps pour offrir une bouffée d’oxygène bienvenue dans l’ambiance oppressante de notre monde actuel, jouant la montre – non pas pour gagner du temps, mais bien pour nous pousser à ralentir le rythme.
Au TJP grande scène (Strasbourg)du 26 au 28 février (dès 9 ans)