Les deux amis
En 120 peintures, sculptures et dessins, le Städel Museum explore quarante ans d’amitié entre deux géants de l’Art, Henri Matisse et Pierre Bonnard.
Ils furent proches et échangèrent une importante correspondance1 entre 1925 et 1946. Elle débute par l’étincelante exclamation « Vive la peinture ! » – donnant son titre à cette exposition – lancée par Henri Matisse (1869-1954) à son contemporain Pierre Bonnard (1867-1947) sur une carte postale écrite depuis Amsterdam. Construite thématiquement, cette passionnante présentation croisée de leurs œuvres met en lumière une communauté de sujets explorés : intérieurs (avec leurs jeux de miroirs et de fenêtres), paysages, natures mortes et nus féminins. En guise de prologue, est accrochée une série de photographies signée Henri Cartier-Bresson qui avait rendu visite aux deux hommes sur la Côte d’Azur en 1944, suivie par deux pièces majeures réalisées par l’un et offertes à l’autre, Soirée au salon (1907) de Bonnard et La Fenêtre ouverte (1911) de Matisse issues de collections privées et réunies pour la première fois. Au-delà de thématiques identiques, se découvre, dans un dialogue courant au fil des salles, une admiration réciproque et une même vision de l’Art, ainsi résumée par Bonnard : « Le principal sujet, c’est la surface qui a sa couleur, ses lois, par-dessus les objets. On parle toujours de la soumission devant la nature. Il y a aussi la soumission devant le tableau. »
Les deux peintres retranscrivent le bonheur de vivre, même si chez Bonnard l’indolence, souvent, n’est qu’apparence, de discrètes dissonances peuplant l’espace de la toile, la rendant parfois étouffante. Pour Matisse, la félicité semble sans alternative, ni condition. Reste que les deux complices entraînent le visiteur dans un vaste champ de sensations colorées. Le dialogue est permanent, parfois lâche, parfois d’une troublante intensité, comme lorsqu’on compare le Nu couché, fond de carreaux blancs et bleus (vers 1909) de Bonnard et le célèbre Grand Nu couché (ou Nu rose, 1935) de Matisse, une des représentations les plus célèbres de sa muse et modèle Lydia Delectorskaya2. La parenté éclate avec d’autant plus d’intensité que l’artiste a documenté la genèse de cette composition avec 22 clichés en noir et blanc pris entre le 3 mai et le 30 octobre, montrant le processus de simplification des formes à l’œuvre allant jusqu’à une gracieuse radicalité géométrique. En sortant de l’exposition, reviennent à l’esprit, familiers, les mots de Guillaume Apollinaire qualifiant la peinture de Bonnard en 1910 de « simple, sensuelle, spirituelle ». Ils auraient aussi pu s’appliquer à son ami Matisse.
1 Présentée par Jean Clair et Antoine Terrasse, elle est publiée chez Gallimard (20,20 €) – gallimard.fr
2 D’elle Matisse disait : « Quand je m’ennuie, je peins un portrait de madame Lydia. Je la connais comme l’alphabet. »