Les coulisses du pouvoir
Cinq siècles après Machiavel, Laurent Gutmann adapte avec humour Le Prince. La Cour de la Renaissance fait place au monde de l’entreprise, où les monarques en formation mettent en pratique ses florentines leçons.
Comment prendre le pouvoir ? Comment le conserver ? En 1513, Machiavel posait les fondements cyniques de la pensée politique, où la moralité n’est pas de mise, la fin justifiant les moyens. Mis à l’index, Le Prince – publié en 1532, de manière posthume – a pourtant traversé l’Histoire comme un ouvrage visionnaire. « C’est un texte ambivalent : en même temps qu’il a pour objet l’éducation politique des princes, il porte l’art du gouvernement à la connaissance de leurs sujets. Le peuple peut ainsi prendre conscience des opérations de domination dont il est l’objet. Au cœur du texte de Machiavel, la notion d’éducation politique est présente », estime Laurent Gutmann. Une leçon si foncièrement désespérante que le metteur en scène a choisi d’en faire une comédie, avec son lot de gags en série. Sous les néons blafards d’une salle de réunion, près de la machine à café, trois stagiaires, deux hommes et une femme, sont prêts à suivre une formation aux préceptes du Florentin dont ils ne connaissent manifestement pas grand-chose. Pour démarrer en toute convivialité, la formatrice coupe des parts d’une appétissante galette des rois. Gare à celui ou celle qui croquera dans la fève : si l’arrivée au pouvoir peut être fruit d’un concours de circonstances, le conserver est une autre histoire. Sitôt assis sur le trône, le prince désigné ne vivra plus que dans l’angoisse du faux pas qui l’en fera chuter. Les trois employés en formation s’essayent donc au pouvoir sous forme de travaux pratiques, dans un jeu de rôles mené par un amusant personnage en costume Renaissance, qui les dirige à coups de sifflet et de citations du Prince.
Guerres factices et hausses d’impôts, brutalité, flatterie, mensonges, coups bas, révoltes, rien ne sera épargné aux apprentis souverains. « Ces mises en situation remplacent les nombreux exemples que Machiavel puise dans l’Antiquité romaine pour étayer ses propos, exemples qui ne sont, pour nous, plus guère éclairants. La parole de Machiavel guide les stagiaires et, le plus souvent, sanctionne leurs erreurs. Car ce qui ressort de ces jeux, c’est que le pouvoir est par nature instable : on est assuré de le perdre un jour », affirme le metteur en scène. Le public rit aux éclats devant cette présentation de l’attirail du parfait prince, cette mascarade et ces situations cocasses qui résonnent si fort dans l’actualité. C’est pourtant bien de cruauté qu’il s’agit. L’effrayante cruauté du pouvoir.
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