Les Corps impermanents
Avec ses animaux empaillés mis en scène au milieu de constellations plastiques ou végétales, Claire Morgan (née en 1980) mène une réflexion sur l’inéluctable dégénérescence. Memento mori.
L’univers de la plasticienne Claire Morgan est empreint d’une sourde mélancolie qui provient notamment de la matière dont sont composées ses œuvres, fragiles et oppressantes installations géométriques et dessins. Les premières rassemblent principalement des animaux empaillés (dont elle ramasse les cadavres au hasard de ses pérégrinations) et des essaims de mouches ou de papillons morts, les seconds laissent apparaître sur le papier les traces du processus de taxidermie réalisé par l’artiste elle-même. Bien sûr, l’Irlandaise n’est pas la première à se servir de bestioles naturalisées : pensons à Jan Fabre et ses envoûtantes “sculptures d’insectes” ou Maurizio Cattelan (avec son écureuil suicidé sur une table de formica), sans oublier Huang Yong Ping et l’effrayant Leviathanation et, dans une certaine mesure, Damien Hirst ou Krištof Kintere. Elle est cependant la seule à utiliser ce matériau de manière obsessionnelle, en faisant la matrice de sa création, son alpha et son oméga.
Fables écolos ? « Je suis déchirée entre la perfection du minimalisme et le récit », explique Claire Morgan pour décrire The Owl and the Pussycat. Un chat noir et blanc observe, attentif, au-dessus de lui, une immense boule bleue faite de milliers de fragments de polyéthylène – avec lequel sont produits les sacs plastique – où se blottit une chouette. Il y a là une potentialité poétique d’histoires tout comme dans If you go down to the woods today où une biche apeurée semble prise dans les rets d’une structure diaphane orangée faite du même polymère. À chacun d’imaginer ce qui va se passer à partir de ce qu’il voit, aidé par la poésie du titre de l’œuvre. Mais cette porte d’entrée évoquant le surréalisme, si elle existe, demeure superficielle, tout comme celle qui résumerait ces compositions à un manifeste écologiste où se mêleraient une nature vraiment morte et les déchets de la société de consommation. L’artiste récuse même toute « réduction de l’art à une déclaration politique ». En réalité, ces pièces « mettent en perspective l’immortalité comme un mystère impénétrable dans une conscience de l’impermanence des choses », résume Pierre-Jean Sugier, directeur de la Fondation Fernet-Branca qui signe le commissariat de l’exposition.
Vanités intemporelles Dans les compositions de Claire Morgan, le temps semble arrêté : une corneille percute une sphère de chardons (On Impact) et un rat chute avec élégance dans un mur de mouches bleues (Falling Down). Existe cependant une tension paradoxale entre l’immobilité de la mort et la puissance de la vie qui se déploie. Malgré tout. « Mon travail traite du changement, du temps qui passe, et du caractère éphémère de tout ce qui nous entoure », explique l’artiste. On retrouve se sentiment dans d’inquiétants dessins d’un réalisme glaçant où l’aquarelle et le crayon se mêlent aux excréments de mouches ou aux résidus du procédé de taxidermie, traces de sang, taches de fluides corporels variés. Les matières utilisées sont pour beaucoup dans la fascination matinée de répulsion générée par les œuvres présentées à Saint-Louis : pour le comprendre, il suffit de regarder les visiteurs face à un essaim organisé comme un globe de mouches à merde (You are my sunshine) ou dans un nuage où ces mêmes Calliphora vomitoria volètent au milieu des chardons (Nipple). Ils comprennent sans doute qu’ils sont face à leur propre finitude. En somme, ces vanités animales nous incarnent, nous les Hommes creux du poème de T.S. Eliot : « We are the hollow men / We are the stuffed men / Leaning together / Headpiece filled with straw. Alas! / Our dried voices, when / We whisper together / Are quiet and meaningless »
03 89 69 10 77 – www.fondationfernet-branca.org