Les chemins de la liberté
Qui fut Camille Corot ? Sous-titrée La Nature et le rêve, cette exposition de la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe permet, en 180 tableaux, dessins et estampes, de mieux connaître celui que Claude Monet qualifiait de « seul maître ».
Représentant d’une tradition picturale française classique, Camille Corot (1796-1875) fut aussi un précurseur qui ouvrit toutes grandes les portes de la modernité. Mais enfermer son art dans un carcan théorique se limitant aux étiquettes qui lui sont souvent accolées de “dernier des néo-classiques” (le fidèle disciple de son maître, le virtuose du paysage Pierre-Henri de Valenciennes) ou de “premier des impressionnistes” (en 1883, Degas écrivait : « Il est toujours le plus grand, il a tout anticipé ») ne suffit pas à rendre compte de la profonde originalité de l’œuvre hors du temps d’un homme qui récusait les nouvelles tendances picturales. Zola, lui, le définit avec finesse comme « le doyen des naturalistes, malgré ses prédilections pour les effets de brouillard ». Et de poursuivre, évoquant « les tons vaporeux, qui lui sont habituels » mais aussi « la fermeté et le gras de sa touche, le sentiment vrai qu’il a de la nature, la compréhension large des ensembles, surtout la justesse et l’harmonie des valeurs ». Le bon “père Corot” ne se laisse pas saisir si facilement… Ses portraits notamment laissent une impression si étrange, que Picasso ou Gris (comme dans Femme à la mandoline) imaginèrent, autour de 1915, une version cubiste de certaines de ses œuvres.
On découvre cette position paradoxale dans l’histoire de la peinture, à la croisée de plusieurs chemins, dans l’exposition de Karlsruhe, puisqu’y sont présentées des œuvres des prédécesseurs de Corot et des artistes qui le suivirent. Peu importe en somme ces tentatives successives de classification : seule compte l’émotion profonde que suscite sa peinture – ses paysages en particulier – que Baudelaire qualifia de « miracle du cœur et de l’esprit ». De ses multiples voyages, qui le mènent de Rome (étape obligée) à la Suisse, en passant par l’Angleterre, il laisse des toiles marquées par un singulier rapport à la lumière considérée comme génératrice d’un profond lyrisme. Une raison supplémentaire de le rapprocher des impressionnistes… immédiatement tempérée par la découverte de compositions religieuses ou mythologiques de grand format à tendance décorative d’un grand classicisme. Décidément, Corot, éternellement libre, échappe à toute volonté d’enfermement. Et c’est tant mieux.
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