Voilà bientôt cinq ans que le plus grand Zénith de France est implanté à Strasbourg. Sa gestion sera-t-elle à nouveau confiée à Véga l’an prochain ? Le prix du billet va-t-il enfin baisser ? Radiohead fera-t-il salle comble, alors que le taux de remplissage n’est pas toujours au beau fixe ? Le “modèle Zénith” est-il inébranlable ? Éléments de réponse…
Il s’agit d’une véritable « sculpture » de toile, de béton et d’acier conçue par le charismatique Massimiliano Fuksas. Un phare qui se voit de loin. Une soucoupe digne de Rencontres du troisième type placée sur un parc de 26 hectares. 7 000 m2 de surface totale, 3 500 places de parking, un espace modulable d’une capacité maximale de 12 000 personnes… Lorsque nous arrivons à proximité de la grosse coque orange du Zénith, d’énormes camions débarquent les tonnes de matériel que nécessite Dracula, l’amour plus fort que la mort, show musical de Kamel Ouali mettant en scène une cinquantaine de personnes, chanteurs, danseurs, comédiens ou circassiens. Un spectacle “lourd”, comme beaucoup de shows programmés ici (en quatre ans, près de 400 manifestations ont attiré 1 300 000 personnes). Comment tourne cette grande et complexe machine nommée Zénith ? Retour au début des années 1980.
Laisse béton
Suite au développement des comédies musicales, des spectacles de variété et à la grogne des professionnels du spectacle, obligés d’organiser des tournées dans des Palais des sports ou sous des chapiteaux, le Ministère de la Culture impulse la construction du Zénith de Paris (6 300 places). Réalisé par les architectes Philippe Chaix et Jean-Paul Morel, responsables, par la suite, des Zéniths de Nantes ou de Dijon, il est inauguré en 1984 au Parc de la Villette par un concert de Renaud. Très vite, le concept s’exporte en province, “Zénith” devenant un label géré par le Ministère himself. Aujourd’hui, on en dénombre 17 (bientôt 18 avec celui de La Réunion). Le Ministère de la Culture valide leurs directeurs et impose le cahier des charges : posséder au minimum 3 000 places, proposer au moins 70% de manifestations culturelles (pour 30% d’événements sportifs ou de soirées privées), être modulable… Aussi, son exploitation est impérativement confiée « à une société dédiée, qui ne pourra elle-même produire de spectacles et devra louer la salle à des producteurs et organisateurs, dans des conditions techniques et commerciales identiques ». À Dijon, Limoges, Nancy et Strasbourg, la gestion se fait par délégation de service publique, en s’adossant à un partenaire privé : Véga[1. www.vega-france.fr].
Le Zénith de Strasbourg
Partant du constat qu’il n’y avait pas, à l’exception du Rhénus Nord, de salle de capacité importante, pouvant accueillir de grands spectacles et un public nombreux, le Zénith de Strasbourg voit le jour en 2008. La CUS en est le principal financeur (68% d’un budget s’élevant à 48,62 millions d’euros). Un investissement considérable. Selon Sylvie Chauchoy[2. Sylvie Chauchoy a été directrice générale adjointe des Eurockéennes de Belfort durant une vingtaine d’années et à la tête de l’Axone de Montbéliard, au moment de son ouverture, en 2009], directrice depuis janvier 2010, le prix en vaut la chandelle car un Zénith offre la garantie d’avoir les tournées de producteurs habitués au maillage de ces salles où l’on trouve à coup sûr une équipe d’accueil compétente, du matériel high tech et des règles de sécurité respectées. « Une scène s’est récemment écrasée durant le montage de Laura Pausini en Italie et il y a eu un mort », rappelle-t-elle, vantant le sérieux de sa salle, de son personnel et des sociétés sous-traitantes qui font avancer le « paquebot ». Le contrat 2008 / 2012 touchant à sa fin, un appel à candidatures a été lancé pour renouveler la gestion de la salle strasbourgeoise. Véga, après cinq ans de délégation, « ne minimise pas la concurrence », mais reste confiant. Sylvie Chauchoy : « Nous travaillons dans une transparence totale. Chaque trimestre nous rendons des comptes à la CUS, propriétaire de la salle, auquel nous payons un loyer. »
Un équipement de proximité
Pour Jacques Bigot, président de la Communauté urbaine de Strasbourg, le Zénith « ne doit pas se borner à être une simple étape des tournées internationales, mais également un lieu où se déroulent des manifestations locales ». Ainsi, outre les spectacles proposés par les producteurs Richard Walter Productions et Label LN[3. Créé en 1991 à Nancy, Label LN produit et organise des spectacles dans le Grand Est et au-delà. Chaque année, la société propose de 150 à 200 manifestations : variété française et internationale, comédie musicale, etc. – www.label-ln.fr], les T’Choupi, les Enfoirés ou les Guns n’ Roses, la salle accueille des événements ponctuels tels que Le Requiem de Verdi (le 20 septembre prochain), coproduction initiée par la Ville et la CUS mêlant le Conservatoire de Strasbourg, l’Opéra national du Rhin et l’OPS. « Nos forces vives doivent s’approprier un lieu qui est aussi le leur », affirme Jacques Bigot. « C’est notre rôle d’être proche des organisations locales et de faire participer la population à un équipement qui lui appartient », approuve Sylvie Chauchoy, citant notamment À l’Ouest des différences, comédie musicale portée par les habitants de Hautepierre (jouée au Zénith, fin 2008) ou la répétition générale de Si Carmen m’était contée… à laquelle 3 500 enfants des écoles primaires ont assisté, le 15 mars dernier. Pour dynamiser le Zénith, sa directrice aimerait héberger des manifestations sportives (« même si ça n’est pas son rôle premier ») comme c’est prévu en novembre, le temps du départ du Marathon de Strasbourg. Notons enfin que le Zénith accueille régulièrement les Artefacts (lire page 34). En 2008, lors de la première édition du festival rock sur le site d’Eckbolsheim l’équipe de La Laiterie déplorait que l’endroit, difficilement accessible, n’ait « pas été pensé pour accueillir des festivals ». Le prolongement du Tram prévu en 2014 permettra d’enfin désenclaver la salle.
Les limites d’un modèle
Le modèle Zénith date d’une trentaine d’années. Depuis, l’économie du spectacle a changé, la billetterie en ligne s’est développée et la crise est passée par là… « Le Centre National de la chanson des Variétés et du jazz[4. Le CNV est le “garant du cahier des charges Zénith” – www.cnv.fr], actuellement en discussion auprès du Ministère, veut redonner un coup de jeune au cahier des charges. » Allons-nous vers des salles plus autonomes, qui sortiraient du carcan ? Sylvie Chauchoy file la métaphore culinaire : « Nous faisons à manger tous les jours, mais ça ne sens pas la cuisine ! » Traduction : « Le Zénith reçoit le public, mais ne gère pas les billets car c’est le producteur qui met sa billetterie en vente. » Avec un budget de 3 millions d’euros par an, il incite les producteurs à venir. « Ilfaut être très réactifs pour les demandes de devis ou de planning et être “financier”. » Pour Sylvie Chauchoy, la marge de manœuvre est mince : « Lorsqu’un artiste international, qui ne fait que deux ou trois dates en France, passe dans notre pays, on nous demande de brader le Zénith à la location… ce que la collectivité refuse catégoriquement. Il y a alors du dumping avec d’autres salles comme Amnéville. » Et de tempérer : « Notre capacité technique fait que nous avons eu Lady Gaga lors de sa dernière tournée et que Rammstein s’arrête régulièrement chez nous, pas à Amnéville. » Carole Revel, directrice de cette salle “concurrente” à proximité de Metz, réplique : « Un même spectacle sera moins cher au Galaxie qu’au Zénith de Strasbourg – que je considère comme un équipement de grande qualité, très bien pensé par rapport à d’autres du même type – car il y a un investissement colossal. De toute façon, mon principal concurrent, c’est le Luxembourg qui n’a pas les mêmes dispositions fiscales, le même coût du travail… »
Isolé du réseau
Le Galaxie (12 000 places ; coût : 341 097 €), salle polyvalente adaptable aux sports, aux conventions d’entreprises et aux spectacles, inaugurée en 1991 par le municipalité d’Amnéville, a choisi de ne pas se calquer sur le modèle Zénith. Et pas uniquement pour des raisons « de délais administratifs trop longs », confie Carole Revel, directrice de la salle gérant sa propre billetterie et… produisant elle-même une dizaine de spectacles par an : le groupe LMFAO ou la chanteuse Britney Spears, par exemple. « Plutôt que d’attendre que des tourneurs veuillent bien louer la salle, nous achetons des spectacles et les produisons nous-mêmes », affirme-t-elle fièrement. « Quand nous produisons, le prix de la place est discuté. Nous restons persuadés qu’un prix raisonnable incite les gens à venir… tout simplement. » Carole Revel fait un pari : « Dans un maximum de 12 à 18 mois, les sociétés délégataires comme Véga produiront leurs propres spectacles ! » Frédéric Saint-Dizier, gérant de la société organisatrice de spectacles Label LN, réagit : « Ça deviendrait grave si, demain, on se retrouvait systématiquement face à une contre-proposition du Zénith qui aurait l’avantage d’avoir des factures de location moindres. Je ne suis pas sûr que les promoteurs puissent survivre à ce genre d’agression. Nous avons cependant conscience que le métier change et une instance comme le Prodiss (Syndicat national des producteurs, diffuseurs et salles de spectacles) pourrait trouver un compromis entre les interlocuteurs. » Les Zéniths ne deviendront jamais des “concurrents déloyaux” ? « Il y aura sans doute des aménagements, mais le cahier des charges ne sera pas considérablement modifié car l’État ne voudra pas privilégier une situation de monopole. »
Des prix qui grimpent
De 35 à 95 € pour Si Carmen m’était contée…, 39 € pour Stéphane Rousseau, de 35 à 60 € pour Julien Clerc “symphonique”… Peut-on espérer une baisse du prix du billet ? « Ça n’est pas la tendance », souffle Sylvie Chauchoy. « Les artistes vendent moins de disques, mais veulent avoir le même train de vie et ils espèrent récupérer le manque à gagner sur les tournées. On ne peut continuellement demander au public de mettre encore 5 € de plus pour maintenir des coûts de production très élevés ! Nous sommes en bout de chaîne et pas maîtres du jeu, mais devons expliquer au public que ça n’est pas de notre faute. Le prix moyen du billet est de 47 € alors qu’on voulait le fixer à 35 €. » Même son de cloche du côté de Label LN : « Il est urgent de revenir à des prix accessibles ! Si on ne redevient pas raisonnable, on va droit dans le mur. La réflexion doit être menée à tous les étages pour faire des économies : la technique qui est en inflation permanente, le producteur de l’artiste, l’artiste lui-même, la salle qui accueille… »
La défection du public est le mouton noir de Sylvie Chauchoy. « Nous n’avons pas obtenu les résultats escomptés par rapport au taux de remplissage, avec une moyenne de 4 500 personnes par an », déplore-t-elle. Bien sûr, le Zénith ne peut pas accueillir quotidiennement des artistes capables de rassembler 12 000 spectateurs : Les Rammstein, Noah, Mylène Farmer, Christophe Maé ou Johnny Hallyday ne sont pas légion. Aussi, il s’avère difficile d’anticiper les “échecs” liés à la fréquentation décevante de certains shows, les prestations récentes de James Blunt, Jamiroquai ou Lenny Kravitz n’ayant pas fait salle comble…
Pour Souad El Maysour, vice-présidente de la CUS en charge des affaires culturelles, « le bilan de ces cinq premières années est plutôt positif », même s’il y a des choses à améliorer. Il faudrait « rajeunir[5. Le public du Zénith a entre 41 à 50 ans pour 26% et entre 31 à 40 ans pour 21%] et élargir le public au-delà de la CUS[6. 41% du public vient d’Alsace dont 15% de la CUS], voire des frontières. » Selon Sylvie Chauchoy, « le Zénith Strasbourg est référencé à l’international[7. 60% du public du Zénith de Strasbourg vient pour les spectacles de variété internationale alors qu’en général les Zéniths sont plutôt fréquentés pour la variété française, les comédies musicales et les one man shows]» et le public se déplace en masse pour les têtes d’affiches étrangères comme Radiohead qui devrait afficher complet le 16 octobre prochain. Souad El Maysour : « Le Zénith a besoin de s’adapter aux nouvelles pratiques et tractations entre le gérant, les collectivités et les producteurs. Il faut aller vers plus de souplesse car l’artiste va au plus offrant et certaines salles sont capables de payer cash. » Reste le problème du fameux cahier des charges, « d’un archaïsme complet et inadapté » pour Sylvie Chauchoy qui attend beaucoup des négociations du CNV auprès du Ministère de la Culture. « Les collectivités nous poussent à ce dépoussiérage. » Rendez-vous en 2013 pour voir si les paramètres ont bougé…
03 88 10 50 50 – www.zenith-strasbourg.fr