Le roi ivre et le nuage
Avec Centaures, quand nous étions enfants, Fabrice Melquiot signe un spectacle hommage à l’histoire de Camille et Manolo, artistes ne faisant qu’un avec leur monture.
L’ enfance ne tient-elle pas toute entière dans un cheval de bois ? Tout s’y joue déjà, sans qu’on le sache, susurre Fabrice Melquiot avec cette pièce-portrait d’un duo sans pareil. Vingt-cinq ans passés côte- à-côte, Camille et Manolo sont à la recherche d’hybridation totale. Ni humains, ni chevaux dans cette pièce, mais des centaures, nés de l’union d’un roi ivre et d’un nuage, « une moitié de cheval qui réclame sa part humaine, une moitié humaine qui espère sa part animale pour traverser la forêt et le temps ». Un retour sensible et fragmentaire, en photos et films de vacances, où l’un raconte l’autre avec les mots d’un troisième. La plume chaloupée de Fabrice Melquiot chemine en détours intimes dans la vie d’une fille unique se tenant à l’écart des autres. Une éclaireuse de France, souvent fugueuse qui part en Inde et reste mutique avec les autres. Lui se vit offrir un poney, Mustang, avec le désir secret qu’il change sa vie d’enfant à jamais. Des kilomètres avalés à vélo chaque jour pour le rejoindre, touchant le moins possible à son guidon, et une promesse d’enfance, un rendez-vous dans 14 ans, en 1992, à la Grande Mosquée de Paris. Il aura une coupe de kéké, elle un bérêt. Il viendra lui proposer de jouer dans un spectacle, ça ne sera pas le coup de foudre mais elle acceptera quand même. Entre temps, ils avaient des trucs à vivre chacun de leur côté avant de se retrouver. Devant nous, ils sont
Camille-Gaïa, étalon frison, cheval mi-lourd, puissant et agile. « Celui des travailleurs de la terre comme des grands seigneurs », une perle noire sur laquelle Camille se tient, pieds nus, debout. Avec Manolo-Indra, pure race espagnole, étalon sévillan rencontré à Vérone, les voilà marchant flanc contre flanc dans un pas de deux battant d’un même cœur. Harmonie de l’unisson dans la pénombre, Manolo a son « vélo-centaure de petite ferraille en mémoire » quand il vit aujourd’hui contre des corps de sept cent kilos. L’amour se lit dans chaque frôlement, dans la précision et la douceur des gestes et des pas, dans la danse fiévreuse et passionnée qui raconte cette utopie en marche. Ce « pas château » des rêves d’enfance, devenu réalité entre la prison des Baumettes et les Calanques, « pour toujours se souvenir qu’il y a des hommes enfermés et d’autres au grand air, et qu’on pense aux uns comme on pense aux autres. » Ses vieilles roulottes et ses lits pour qui veut, son « chapiteau en forme de volcan pour que les chevaux, en galopant, sentent le centre de la terre sous leurs sabots ». Et des amandiers tout autour, « parce qu’il est le premier arbre à refleurir ». Redécouvrir que « la bête devient soi quand on la regarde longtemps dans les yeux » et que « nous sommes tous des animaux. Des animaux prodigieux. Nous sommes des bêtes assoiffées de nuit et de sang et nous hurlons notre désir de vivre. »
À La Filature (Mulhouse), jeudi 26 et vendredi 27 mars (dès
7 ans)
lafilature.org