Le monde de Tomi
Tomi Ungerer et ses maîtres est le point d’orgue de la célébration du 80e anniversaire de l’artiste. L’exposition ressemble à une mise en perspective, puisqu’y sont explorées ses influences, ses connexions et ses affinités.
C’est sans aucun doute l’écrivain allemand Friedrich Dürrenmatt qui, dans la préface du cultissime Babylon, décrit le mieux le rapport de Tomi Ungerer aux autres créateurs en affirmant qu’il « n’imitait personne, mais utilisait beaucoup ». Preuve en est apportée avec éclats dans cette exposition, dont l’essence est toute entière résumée dans son titre, Tomi Ungerer et ses maîtres, et son sous-titre, Inspirations et dialogues. Pour une des premières fois, sont illustrés les liens complexes et multiples existant entre le dessin d’illustration et l’histoire de l’Art, avec son “A” majuscule, un brin prétentieux et intimidant. « Enfant, j’ai été essentiellement impressionné par Mathias Grünewald, Dürer, Schongauer, ainsi que par Hansi et Schnug, tous les deux des artistes alsaciens. Plus tard par Goya, Bosch, les dessinateurs japonais (Hokusaï, etc.), les vieux numéros du Simplicissimus et Wilhelm Busch » explique Tomi. Souvent, la juxtaposition de ses œuvres avec celles de ses prédécesseurs est saisissante. Ses sorcières dépenaillées – qui tirent le diable par la queue (au sens propre), caressant, mutines, les testicules du démon avec la paille de leurs balais – ressemblent à une version de la fin du XXe siècle du sabbat que dessina Hans Baldung Grien vers 1510. Les deux entretiennent, dans leur ambiance chromatique brunâtre, une indéniable parenté.
Dans l’esprit de Tomi Ungerer, toute l’histoire de l’art semble s’être sédimentée de manière curieuse, comme s’il avait absorbé un gigantesque flot d’images et en recrachait de sublimes fragments transfigurés. Les portraits au vitriol que fait George Grosz des bourgeois des années 1920 trouvent leur expression dans la haute société décadente et grotesque des sixties de The Party. Le cas de la relation à Hansi, lui, est (très) particulier puisque s’y développe une surprenante dialectique admiration / répulsion ou amour / haine, pour parler plus clairement. Après l’avoir servilement copié dans son enfance, il prend une belle distance critique à l’âge adulte avec le patriotisme sans nuances de Jean-Jacques Waltz. Lorsque le premier chausse de lourds croquenots pour caricaturer la relation entre France et Allemagne avec un brio extrême, certes, mais de manière ultra cocardière, le second pose un regard plus affuté et distancié sur une situation éminemment complexe, dont l’Alsace est l’épicentre… Et le plus acerbe n’est pas toujours celui qu’on croit ! L’univers intellectuel de Tomi se nourrit aussi de l’art de Dubout ou de Savignac, du cinéma, de la bande dessinée… L’on découvre que son érotisme ressemble à un curieux mélange entre le glamour soft des années 1960 version Barbarella dessinée par Jean-Claude Forest et celui, plus hard, tout en cuissardes et latex, de la Sweet Gwendoline de John Willie
03 69 06 37 27 – www.musees.strasbourg.eu