Le Maillon et Le monde du travail aujourd’hui
Avec son temps fort sur Le monde du travail aujourd’hui, Le Maillon invite à une réflexion croisée sur nos aspirations, notre quête de sens et nos soumissions au marché de l’emploi à l’heure de l’entreprenariat roi.
Après ses tablettes et casques audio nous mettant dans la peau de marchands d’armes internationaux et de leurs dégâts collatéraux (Situation Rooms) ou sa déambulation dans des salles composées avec des personnes en fin de vie (Nachlass), le collectif Rimini Protokoll et le metteur en scène Stefan Kaegi s’emparent du Maillon, à Strasbourg, pour y déployer Société en chantier (24-26/03). Bob Woodward l’a toujours dit, une démocratie se doit d’être transparente sur l’exercice du pouvoir. Le journaliste, qui révéla avec Carl Bernstein l’affaire du Watergate, n’en finit pas de chercher qui décide réellement au sommet du pouvoir. Sont-ce les élus du peuple ou les lobbyistes et les firmes multinationales ? Qui profite des décisions et arbitrages ? En un sens, Stefan Kaegi emprunte un chemin similaire avec ce projet immersif. Il investit salles et à-côtés, qu’il transforme en véritable chantier aux espaces enchevêtrés, avec cabane de réunion, échafaudages et bâches, grues, plates-formes d’observation, murs de briques et tas de sable.
Le Suisse compose une déambulation documentaire en huit stations pour autant de groupes de spectateurs munis de casques. Ils y rencontrent successivement les experts représentatifs des grands corps de métiers de l’immobilier : un avocat du droit de la construction, un ouvrier immigré, un urbaniste, un entrepreneur, un entomologiste spécialiste des insectes bâtisseurs, une conseillère en investissement, une travailleuse chinoise et une représentante d’un organisme anticorruption. Autant de témoignages issus d’une longue enquête préparatoire visant à faire émerger une compréhension concrète des enjeux et motivations à l’origine de l’édification des espaces dans lesquels nous vivons. Chaque professionnel (certains jouent leur propre rôle, d’autres sont remplacés par un comédien) livre son point de vue sur les travaux en cours, ses intérêts et désaccords. Avec finesse, le public est mis à contribution, devant aider à la réalisation concrète d’une partie du job de l’intervenant. Le récit global, avec ses trames synchronisées et ses espaces à vue les uns des autres, tient compte de toutes ces actions de manière à ce que les différents groupes subissent les répercussions des avancées de leurs prédécesseurs, mesurant concrètement l’interdépendance des travaux et le peu de marges de liberté existant dans ce type de projets. Le spectateur devient le protagoniste – plus ou moins volontaire – de l’histoire racontée aux autres. L’écosystème de la construction reconstitué véhicule les mêmes paradoxes que ceux traversant notre société, l’évolution des villes et l’édification, toujours plus folle, de nouveaux quartiers. Pour Stefan Kaegi, « les grands chantiers révèlent les tensions entre décisions publiques et intérêts privés, intelligence collective et pragmatisme, monde du travail internationalisé et enjeux propres à un territoire. »
Nous voilà au cœur de la complexité de ces enjeux, face aux retards de livraison et ajustements de coûts, aux factures qui s’allongent, aux relations d’interdépendance incestueuses entre acteurs publics et privés aux intérêts divergents. Se tissent sous nos yeux des connexions invisibles à travers le monde. Les exemples réels ne manquent pourtant pas, des manigances de Bolloré et Areva, qui ont accentué les dépassements de l’EPR de Flamanville, au chantage d’Eiffage pour le musée lyonnais des Confluences. Entre corruption, opposition farouche des populations et remise en cause des desseins de l’urbanisme public comme de l’intérêt de tels projets pharaoniques, ce sont bien les intérêts des financiers et promoteurs de l’immobilier, mais aussi des infrastructures, qui sont pointés du doigt. De manière ludique et engageante, le collectif Rimini Protokoll met en doute la notion de bien commun, tout en levant le voile sur la complexité des décisions engageant la mutation des villes, révélant certaines connexions habituellement tues, les enjeux économiques des investisseurs comme des entrepreneurs, le peu de cas fait à l’usager comme à ses préoccupations écologiques. Jusqu’à se demander si, finalement, l’État et les élus locaux contrôlent l’évolution des espaces communs fondant nos cités…
Work in progress
Parmi les propositions à ne pas manquer durant ce temps fort, la visite guidée et immersive conçue par Igor Cardellini et Tomas Gonzalez (L’Âge d’or, 18 & 19/03 puis 01 & 02/04, navette depuis Le Maillon). Casque sur les oreilles, ils nous mènent dans l’agence AG2R La Mondiale de Schiltigheim pour évoquer l’idée du progrès de ce type de lieu emblématique du travail situé à l’Espace européen de l’entreprise. Encore plus ludique, la proposition de Bérangère Jannelle : Une Histoire de l’argent racontée aux enfants et aux parents (25-29/03, dès 10 ans). Les théories économiques y sont passées au tamis de métaphores culinaires concrètes avec deux vrais-faux conférenciers. Dans la droite lignée de l’agit-prop, la metteuse en scène moldave Nicoleta Esinencu signe une Symphonie du progrès performative (31/03 & 01/04), dans laquelle outils, perceuses et pièces de machines servent d’instruments martelant les nouvelles formes d’exploitation engendrées par le capitalisme. Enfin, laissez-vous tenter par la création in situ du collectif Quarantine, invitant à investir Le Maillon le temps que vous voulez, de midi à minuit, samedi 18 mars. 12 LAST SONGS multiplie rencontres, espaces de jeux, diffusion de films documentaires et spectacle en continu, à vivre selon vos envies.
Au Maillon (Strasbourg) du 18 mars au 2 avril
maillon.eu
> Profitez des spectacles en confiant vos enfants aux garderies créatives, samedi 25 mars (4-9 ans) et dimanche 26 mars (4-10 ans)