De Dürer à Bonvicini, le Kunsthaus Zürich convie à une odyssée multifocale en forme de voyage dans le Temps.
Le temps demeure une énigme que les tentatives humaines peinent à expliquer, scientifiques et philosophes tentant de dresser les contours d’un concept qui résiste à leurs spéculations. Histoire de stimuler sens et esprit, cette exaltante exposition emporte le visiteur dans un tourbillon artistique kaléidoscopique en six sections. Elle débute par Deep Time, une plongée aux origines : ainsi Timepieces (Solar System), installation de 2014 signée Katie Paterson, composée de neuf horloges – une par planète –, illustre la différence entre les longueurs d’un cycle jour / nuit sur la Terre, Vénus, etc. Également présentée, Time Piece (Martian Deadbeat), sculpture cinétique d’Elisa Storelli, est une pendule dont le tic-tac est plus lent de 20% que la normale, puisqu’elle est paramétrée sur la gravité de Mars. Une sublime toile d’Yves Tanguy (Demain, 1938), concrétion métaphysico-mélancolique, résume le propos avec grande beauté, tout comme la Rockwatch, montre-bracelet en granit de la maison Tissot, reflétant une autre originalité de l’événement : faire voisiner œuvres d’art et garde-temps.
Ensuite, est convoquée la biologie avec de sublimes vanités : saisissant memento mori du XVIIe siècle, gravures de Dürer ou encore The Immortal Spin Head (2014), réinterprétation contemporaine du genre par Damien Hirst. La vertu de ce parcours d’une extrême richesse n’est pas d’apporter des réponses toutes faites, mais de donner matière à réfléchir à chacun sur l’essence du temps. On reste ainsi scotchés devant l’immense cliché d’Andreas Gursky, Chicago Board of Trade III (1999/2009), qui s’insère dans la troisième partie questionnant le temps à l’aune de l’économie, tout comme le génial globe de montres à quartz argentées et dorées de Monica Bonvicini, Time of My Life (2020). À deux pas, la Swatch originelle de 1983 interroge une icône du luxe horloger, la première Royal Oak produite par Audemars Piguet, en 1972. Du Train de pendules de Jean Dubuffet (1965), composition de quatre mètres de long, issue du cycle de L’Hourloupe, au Moment sublime (1938) de Dalí où les secondes semblent figées, en passant par sept Date Paintings d’On Kawara, la déambulation est d’une belle densité. Elle se conclut sur des réflexions liées au “temps propre”, celui qui est soustrait à l’exploitation capitalistique – sommeil ou vacance – dont Le Bain (1873-74) d’Alfred Stevens peut faire figure d’étendard. Entre alanguissement lascif et douce rêverie, cette huile évoque la nécessaire reconquête de l’ennui et l’impérative perte de minutes, voire d’heures, dans un monde où, paraît-il, elles sont de l’argent.
Au Kunsthaus Zürich jusqu’au 14 janvier 2024
kunsthaus.ch