Le Iench par Eva Doumbia au TNS

Le Iench (c) Arnaud Bertereau

Avec Le Iench, Eva Doumbia dessine le portrait d’une famille noire d’un milieu populaire de France. La violence intérieure y voisine avec le racisme systémique, enserrant ses membres en étau.

Tordre le cou aux récits dominants et à la violence de l’invisibilisation des communautés minoritaires sur les plateaux. Raconter l’apparente banalité d’une famille dont les parents, émigrés du Mali, poursuivent des rêves pavillonnaires de propriétaires. Telle était, en 2016, bien avant de recevoir le Prix des lycéen·nes Bernard-Marie Koltès (2022), l’ambition d’Eva Doumbia, autrice et metteuse en scène engagée, notamment au sein du collectif Décoloniser les arts. Quand survient la mort d’Adama Traoré, après une course-poursuite avec les forces de l’ordre se terminant par son immobilisation sous le poids des policiers, Le Iench change à jamais. Voilà son récit percuté par l’écho français de Black Lives Matter, la lutte contre les violences policières et la peur, omniprésente chez les personnes de couleur. D’où les entrecoupements d’énumérations de victimes de bavures, de Zied et Bouna à Rémi Fraisse en passant par Lamine Dieng.

Le Iench (c) Arnaud Bertereau

Le chœur, micro à la main, interpelle le public dans un cri de désespoir hanté par une question revenant sans cesse : « Qui sera le prochain ? » Rien de désarçonnant dans une pièce commençant dans les nappes d’une vision, en plein supermarché, quand Ramata (19 ans), orpheline de son jumeau Drissa, semble le voir au loin, tandis que Seydouba, le petit dernier, enchaîne les reprises de slogans et de réclames de grande surface. Le retour au réel prend les couleurs d’un intérieur ordinaire, dans un décor tournant sur lui-même, avec canapé défraichi faisant face à une télé, séparée par une table basse. S’il a fallu se serrer la ceinture pour obtenir le prêt et « ces carrelages éblouissants de routines à venir », faire avec le racisme ordinaire des voisins mécontents de voir leur récent embourgeoisement rabattu par leur emménagement, la pièce s’écoule entre rêve de conformisme (le chien du titre auquel pense non-stop Drissa) et écart culturel vivace, explosant au même rythme que les relents racistes nichés dans des vexations quotidiennes. Ainsi le fils cadet prend-il une claque pour avoir fait remarquer, après un rot du père en fin de repas, qu’il était interdit de le faire à l’école car malpoli. En paternel tradi, Issouf dicte sa loi dans cet espace domestique, sa télé, son jardin. Et gare à celui qui ose lui répondre. Sa fille et sa femme font tout à la maison, quand il n’incombe rien aux fils, l’aîné traînant avec ses copains et allant défier le videur ivoirien de la boîte du coin, pour qu’il le laisse entrer.

Eva Doumbia ne cache rien des travers de son milieu, notamment le silence des pères, sûre que c’est parce qu’elles ne sont guère représentées que les familles issues de l’immigration ne cessent d’être la proie de tous les fantasmes les plus vils. Comment faire face au mépris social et racial au cours de danse où l’on demande un collant couleur chair, face aux ados ne notant pas la beauté de Ramata car ne pouvant se prononcer ? Drissa n’est pas dupe : « Être l’exception ne sert qu’à donner l’illusion que ça change pour que rien ne change. »

Le Iench

Au Théâtre national de Strasbourg du 9 au 13 janvier
tns.fr

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