Le désenchanté
À Stuttgart, Andrea Moses monte un Don Giovanni ironique et burlesque où le fringuant séducteur n’est plus que l’ombre de lui-même. Dans un renversement de perspective il est dépassé par les femmes de l’opéra de Mozart.
Des pompes en python, un costume blanc un rien avachi, un Borsalino fatigué, un manteau de fourrure… Don Giovanni (Andrew Schroeder dont le timbre est en adéquation parfaite avec la molle séduction qui sied à cette vision du rôle) n’est pas ici le charmeur flamboyant qu’on présente bien souvent. Ses meilleurs jours sont derrière lui. Entre bellâtre de bas étage et maquereau mafieux, il est un solitaire désabusé errant dans le DG Star Hotel posé au centre de la scène : c’est dans le parallélépipède pivotant sur lui-même que se déploie l’action, dans ses chambres vitrées que tout se passe. Leporello, incarné par l’extraordinaire André Morsch (dont l’interprétation pleine de vitalité, à l’aune de celle qu’il proposa comme Figaro dans Le Nozze di Figaro à Nancy en 2011, confirme qu’il est un mozartien d’exception) ressemble à une petite frappe en jeans et blouson de cuir.
Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que le chasseur se métamorphose en bête traquée : de manière jubilatoire et burlesque, la metteuse en scène Andrea Moses transforme le triste héros en marionnette sur laquelle toutes les femmes de l’opéra, des créatures calculatrices en diable, projettent leurs ambitions et leurs frustrations. Donna Anna cherche une aventure pour échapper à la tristesse du quotidien, Donna Elvira (sensuelle et raide Sophie Marilley en bourgeoise tendance Jackie Kennedy vêtue d’une veste de cuir vert incongrue, mais sexy) aspire à la stabilité et Zerlina, évidemment, à une rapide ascension sociale. Voilà une version très contemporaine de l’œuvre de Mozart plus que jamais désertée de toute présence divine. Des personnages aux rêves brisés, égarés dans une existence creuse, errent sur la scène dans un maelström burlesque et décalé typisch deutsch : jeu avec le souffleur, trouvailles scéniques (dans l’air « Madamina, il catalogo è questo », Leporello égrène la liste des conquêtes de son maître en listant son répertoire téléphonique, tandis que des images hilarantes sont projetées), barbecue avec force saucisses… Le parti pris est d’un cynisme total. Mais n’est-il pas celui qui sied le mieux à notre époque ? Face à un désenchantement aussi global que peut faite notre “héros” ? Il n’a guère le choix : plutôt que d’être englouti dans les flammes de l’enfer – la fin classique de l’œuvre – il préfère se suicider…
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