Le clavier libéré
Pianiste hors-normes dans la galaxie classique, Francesco Tristano donne concert à Luxembourg, où il est Lost in translation dans les rues de Tokyo, puis Strasbourg, faisant alors partager l’effervescence de Gershwin.
Voilà un garçon qui marie comme nul autre une certaine rigueur germanique tendance Deutsche Grammophon – label pour lequel il a gravé moult CDs dont le génial Scandale avec Alice Sara Ott1 – et des échappées atypiques pour un musicien estampillé classique. S’il ne cède pas aux sirènes du crossover – le plus souvent une soupe consumériste indigeste –, Francesco Tristano s’essaye avec rigueur aux synthés et autres boîtes à rythmes, écume les clubs et collabore avec un autre enfant terrible du paysage, Chilly Gonzales, voire un monstre sacré de la techno en la personne de Derrick May pour un concert qui a marqué les esprits avec l’Orchestre national de Metz, l’année passée2. Il nous déclarait alors, comme un fulgurant résumé de sa vision de la musique : « Bach est très présent dans ma vie, j’en joue chaque jour et m’incline devant ce qu’on nomme “la mélodie infinie” à son sujet. Il est l’inventeur de la techno ! » Pour son retour au pays natal, à La Philharmonie de Luxembourg, il invite le public à un drôle de voyage : après avoir imaginé, pour la première édition du cycle Urban, une ville numérique bâtie grâce aux notes des Variations Goldberg de Bach, il narre ses Tokyo Stories en compagnie de Michel Portal. Clavier, clarinette basse, enregistrements des bruits de la mégapole et sons électroniques fusionnent pour une déambulation dans les rues de la capitale japonaise.
Avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et son directeur musical Marko Letonja, il donnera la Rhapsody in Blue de Gershwin, pièce entrant en résonance avec un programme 100% français centré sur Ravel (avec notamment la noble et languide mélancolie de la Pavane pour une infante défunte et le célébrissime Boléro), illustrant les liens unissant les deux hommes qui se rencontrèrent en 1928 et se vouèrent une profonde admiration réciproque jusqu’à leur disparition. Lorsque le jeune compositeur américain demanda des leçons à son aîné, il lui répondit : « Pourquoi seriez-vous un Ravel de seconde classe, alors que vous pouvez devenir un Gershwin de première classe ? » Réponse avec un concerto jazzistico-classique emblématique des années 1920 que son auteur considérait comme « une sorte de kaléidoscope musical de l’Amérique, de notre grand melting-pot, de notre dynamisme national inégalé, de notre blues, de notre folie métropolitaine. »
À La Philharmonie (Luxembourg), samedi 9 novembre
philharmonie.lu
Au Palais de la Musique et des Congrès (Strasbourg), jeudi 14 et vendredi 15 novembre (puis en tournée avec l’OPS notamment à la Alte Oper de Francfort, 19/11)
philharmonique.strasbourg.eu
1 Voir Poly n°216 ou sur poly.fr
2 Voir Poly n°207 ou sur poly.fr