Le Changement perpétuel
À la Fondation Fernet-Branca se déploie une exposition collective explorant L’Impermanence. Cinq artistes y proposent un éloge du mouvement.
« Grâce à l’impermanence, tout est possible. La vie elle-même est possible. Si un grain de blé n’était pas impermanent, il ne pourrait se transformer en tige de blé. Et si la tige de blé ne l’était pas, elle ne pourrait jamais produire l’épi de blé que nous mangeons », écrit le moine vietnamien Thích Nhất Hạnh pour définir un principe clef du bouddhisme. Ce concept « désigne non seulement ce qui ne dure pas, mais aussi que tout est en perpétuel changement », résume Pierre-Jean Sugier, directeur de la Fondation Fernet-Branca qui a commissionné cette excitante exposition. « Ce n’est pas la finalité, l’extinction, que l’impermanence évoque, mais bien un monde en mutation, en évolution dans le temps. Ce mouvement nous le retrouvons dans la nature, la flore, la faune et le minéral et le regard que nous posons sur le monde nous permet aussi d’appartenir à ce même élan », poursuit-il.
Minéral & animal Dans l’étendue argentée de trois plaques d’aluminium se découvrent, délicates et diaphanes, les nervures architecturées avec finesse de feuilles d’arbre rongées par des insectes : le triptyque Magnolia macrophylla – Les Masques de Léa Barbazanges fait écho à ses Cristaux translucides, étonnants hybrides entre univers minéral et efflorescences organiques. Confrontant les matières et les formes elle montre que rien n’est immuable, même si au premier regard, il serait possible de croire ces fossiles contemporains complètement pétrifiés. Ici, le temps est suspendu entre deux éternités, comme chez Céline Cléron dont le travail est irrigué par « une tension entre ce qui est figé et ce qui est en mouvement », explique-t-elle. C’est un temps arrêté qu’elle capture comme dans Une Minute de latitude (maquette en bois d’une caravelle du XVe siècle, incongrument posée au sommet d’un toboggan, saisie à l’instant fractal, juste avant la descente) et L’Horizon des événements. Dans cette alliance de la lenteur et de la vitesse, de la mort et de la vie, un squelette de couleuvre se métamorphose en rails d’un improbable manège de luna-park. Matières en transition, tentative de fixer l’impermanence qui « comme le sable, file entre les doigts » : avec ses herbiers polymorphes, Marie Denis fait écho au Chant des Possibles, magnifique installation de Stéphane Guiran. Dans un espace démultiplié par des miroirs se déploient 600 cristaux organisés autour d’une graine originelle. Fécondée, elle a généré cet immense tapis : accompagné par des improvisations musicales déclenchées de manière aléatoire, l’esprit vagabonde, libre et sans attaches, dans cet océan de lucioles. « Les sens en apesanteur goûtent les embruns du silence. Là, dans l’intimité de l’Être, au cœur de l’impermanence, s’élève en secret Le Chant des Possibles », résume le plasticien.
Végétal Enfin, se découvrent les œuvres de Philippe Lepeut. Entre hyper raffinement et absolue précision des formes et des matériaux, elles montrent que « tout se transforme et circule d’un état à l’autre », affirme le plasticien, faisant explicitement référence à Lavoisier. Mais plutôt qu’au chimiste français, on préfèrera se tourner vers l’antique Héraclite dont la philosophie est fondée sur le flux et la métamorphose perpétuelle (« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve »). Invitant à la contemplation sereine – voire joyeuse –, ses pièces, entre lesquelles circule une puissante énergie, sont organisées autour d’une installation de cristal de roche évoquant autant le caractère scientifique de L’Expérience de la goutte de poix1 qui lui donne son nom que les réflexions esthético-zen de Moebius. L’ensemble est une paradoxale « célébration de l’impermanence » qui se manifeste dans les liens existant entre les éléments et les structures, « toujours en mutation de sens et de forme ». Illustration avec Les Reprises, où des minéraux sont posés sur des étagères de bois précieux (de rose, d’ébène, etc.) : fluorite, fulgurite ou pyrite côtoient des créations imaginaires comme la Dürerite, pierre de la mélancolie rappelant le polyèdre du célèbre tableau. À côté d’eux se découvre Image, installation murale composée de 120 aquarelles A4 – dont les composantes sont de discrets clins d’œil aux Iris de Patrick Neu2 – en forme de variation plastique et chromatique sur l’existence : devant nos yeux éclate le cycle de vie d’une fleur qui ne semble pas avoir de fin.
1 Elle vise à mesurer l’écoulement d’un fragment de poix sur de nombreuses années. Sa version la plus célèbre est celle de Thomas Parnell (1927) dont le but était de démontrer que certaines substances d’apparence solide sont en réalité des fluides de très haute viscosité
2 Depuis les années 1990, le plasticien installé à Meisenthal capture la floraison des iris durant deux semaines, chaque printemps, dans de fascinantes aquarelles