L’atelier-machine
Pour sa première exposition personnelle, le peintre Marius Pons de Vincent, formé à la HEAR, tourne le dos au nu et réinvestit avec liberté l’espace de l’atelier.
Qu’est-ce que travailler pour un artiste ? Le mix entre faire et de ne rien faire qui caractérise toute production artistique est une question éminemment actuelle (qui anime notamment le projet de Christine Macel pour la Biennale de Venise dont elle est commissaire générale). Après avoir beaucoup travaillé, rempli le disque dur de son ordinateur de milliers d’images plus ou moins douteuses de compétitions de sport junior et de groupes de naturistes, et en avoir patiemment tiré les grands formats de sa série Baignade surveillée, Marius Pons de Vincent a décidé de se les rouler et de laisser l’atelier bosser tout seul. L’ordinateur est éteint. Des chiffons sales, en boules, s’entassent sur les palettes de verre où la peinture a séché. Au sol traînent des images, imprimées en couleur sur papier A4, où l’on reconnaît une fille blonde un peu ronde, le visage balayé par ses cheveux, reprise par le peintre sur son tableau Sortie de groupe ; d’autres corps nus ; quelques couples en train de baiser. Ces papiers au rebut, parfois froissés ou tachés, griffés d’une note ou d’un numéro de téléphone, sont la matière de Papiers peints sur fond vert, grande toile très remarquée l’automne dernier à St-Art. Jean-François Kaiser la met au centre de cette première exposition monographique, entourée des chiffons – tendus sur des châssis, rehaussés en tentures – et des palettes de verre au dos desquelles le thème du nu est discrètement repris, parfois ironiquement détourné.
En s’émancipant du modèle photographique et d’un certain réalisme, qui confortait peut-être trop confortablement son talent, Marius Pons de Vincent a relancé la machine à peindre dans une direction imprévue. Ce sont d’abord des dizaines de petits autoportraits, souvent exécutés très rapidement, où un sévère profil de proconsul exclut toute lecture psychologisante. C’est surtout la série Studio, hantée par un vert d’incrustation qui installe fermement une distance envers la représentation. Les références à Uccello et Whistler sont explicites dans Studio 2 et Papa, où un rideau, comme découpé dans une Annonciation de la Renaissance, s’interpose, pellicule de fiction, entre réalité et figuration. Studio 4 (Aurélie) met en scène une étrange allégorie : une jeune peintre en culotte se glisse sous la couverture recouvrant un chevalet, comme pour dérober à Marius un secret d’artiste. De cette plongée dans la chambre obscure émane une tête de cheval encadrée au mur, que le chevalet semble débiter comme un Polaroïd. Le regard de Marius sur le nu, le sexe, la nature, a perdu de sa naïveté. Ce que son corps produit dans la solitude de l’atelier, c’est de la peinture.