Avec Le Musée sentimental d’Eva Aeppli, le Centre Pompidou-Metz dédie une première rétrospective française à cette artiste méconnue.
Qui fut Eva Aeppli (1925-2015) ? À l’entrée de l’exposition, quelques cartes de visite encadrées donnent un embryon de réponse. Elle s’y présente comme « Psychowouzilogue », responsable d’un « Élevage de sorcières. Gros – 1⁄2 Gros – Détail » ou encore « Prix Nobel du déménagement », révélant un esprit un brin mutin. Femme de Jean Tinguely dans les années 1950, elle gravite dans une galaxie de plasticiens où figurent Daniel Spoerri, Niki de Saint Phalle ou encore Jean Pierre Raynaud – des liens dont témoignent ses Livres de vie. Dans ces journaux intimes se trouve la matrice de sa création, puisque lettres, photos et autres cartons d’invitation voisinent avec les croquis préparatoires à des œuvres. Météore artistique à une période où triomphent Nouveau Réalisme et Pop Art, elle laisse des œuvres singulières, hantées par la découverte des images des camps d’extermination, auxquelles renvoient les silhouettes macabres de ses fusains – entre désespoir absolu et rire grinçant, nous contemplent les huit dessins de 1957 composant Le Strip-tease – et autres toiles qui feraient presque passer Munch pour un joyeux drille (La Gueule de bois, 1960).
« Ce n’est pas en reconstruisant l’histoire, mais en racontant des histoires à propos des objets que les musées sentimentaux font leur travail de médiateur », écrivait Bazon Brock à propos du modus operandi cher à Daniel Spoerri, ici mis en œuvre pour plonger dans les arcanes d’un corpus fascinant, où les figures textiles qu’affectionnait l’artiste entrent en résonance avec des pièces d’Annette Messager (Les Spectres des couturières, 2015), Louise Bourgeois ou encore Andy Warhol, dont The Last Supper (Camel/57) de 1986. Cette composition immense appartenant à l’ultime série du “pape du Pop” est placée face à La Table (1965-67) d’Eva Aeppli, vision glaçante de La Cène où treize créatures de soie, velours, ouate, laine et kapok « représentent la condition humaine. (…) J’ai mis la Mort au centre de ce groupe de personnages pour figurer les crimes qui ont été commis au XXe siècle », expliquait-elle, en 1999. C’est une identique vision qui sous-tend Groupe de 13 (1968), réalisé en hommage à Amnesty International : elle y a trempé l’étoffe dans le thé pour conférer aux visages et aux mains un aspect contusionné. On reste ensuite éblouis par un immense espace où ses créations à quatre mains avec Jean Tinguely brinquebalent, grinçantes et jubilatoires, se mouvant dans des cliquetis de ferraille grâce à des moteurs électriques : Les Sorcières terrestres (1991), qu’on peut voir comme une cinglante critique de l’hégémonie de la télévision, un brillant Hommage à Käthe Kollwitz (1990-91) ou encore Louise, viens faire de la balançoire avec moi (1994), tourniquet macabre qu’on dirait sorti d’un roman de Stephen King !
Au Centre Pompidou-Metz jusqu’au 14 novembre