L’art de la fugue
L’électronicien messin Chapelier Fou avance par « glissements » plutôt que par « ruptures », poursuivant ses explorations de mondes parallèles mélancoliques et mathématiques. Rendez-vous à l’heure du thé avec le storyteller faisant chanter ses machines.
Casquette vissée sur la tête (normal) et casque glissé dans les oreilles (logique), le Chapelier* nous retrouve au Fox, coffee shop de Metz dont le nom le fait sourire puisqu’il écoute La Petite Renarde rusée, opéra de Leoš Janáček. Louis Warynski (son vrai patronyme) adore les histoires, qu’elles mettent en scène canidés malins, oiseaux, chevaux ou autres Animaux flexibles. Variation autour d’un même thème, Muance, son dernier album, conte les aventure de Philémon, personnage de BD qui, plutôt que de parcourir les cases du dessinateur Fred, traverse les titres du conteur Chapelier Fou. Pas de voix (Louis goûte peu la mode du featuring, figure imposée aujourd’hui dans l’electro), donc pas de texte sur les onze morceaux de cet opus préférant s’exprimer dans un langage abstrait : Cavalcade de cordes frottées, sonorités électroniques s’échappant de ses logiciels, boucles d’origines incontrôlables, mélodies pianistiques, Octaves brisées, geekeries dont il a seul le secret et défis lancés aux lois acoustiques. Approche savante pour compos pop. Son nouveau long format se passe de guests et de blablas, invitant à « être dans l’écoute et le son », une nouvelle fois, à passer de l’autre côté du miroir et se perdre dans une grille musicale complexe avec de « grands chiasmes », des « gammes qui montent et descendent », avant que « tout s’inverse » comme sur Philémon qui ouvre Muance et donne le ton d’un disque où son leitmotiv ressurgira, sous sa forme ou d’autres atours. « C’est caractéristique de mes obsessions », explique l’artiste. « Comme dans une Fugue de Bach, je pars d’un sujet, un gimmick que je répète et auquel je fais subir des transformations » plus ou moins perceptibles. Muance est en effet une contraction de “mutation” et “nuance”. Passé par le Conservatoire de Metz, Louis Warynski intellectualise son travail, expérimente sans cesse, passant 90% de son temps à bidouiller des programmes informatiques, fabriquer des séquenceurs modulaires et inventer des procédés de synchronisation pour le light show de ses prestations scéniques. Ouf : avec le Chapelier, « plaisir technique » ne rime pas avec musique hermétique. Il cite la pensée de Deleuze sur la notion de répétition, mais ne fait jamais dans la démonstration. Le virtuose multi-instrumentiste tourne autour d’un même concept sans épuiser son auditoire, préférant vite bifurquer quand il s’engage sur la route d’une fausse bonne idée. Amoureux de la chose narrative, il évoque des essais d’enregistrements de sa propre voix, la veille de notre rencontre. Après quelques tentatives peu concluantes, Louis est « très vite passé à autre chose. Je me suis alors saisi d’un sac plein de veilles cassettes qui trainaient chez mes parents et dont mon père voulait se débarrasser. Je me suis mis à pleurer en tombant sur ma mère racontant des histoires lorsque j’avais 3 ou 4 ans… » Il se penche ensuite sur d’autres documents audio captés sur bandes BASF datant de l’adolescence : un bœuf guitare / flute improvisé avec « je ne sais plus trop qui » ou des émissions télés enregistrées puis samplées et triturées par ses soins, avec les moyens du bord, dans sa chambre. Le point de départ pour un prochain disque sur son enfance ? Une belle page à écrire…
À La BAM (Metz), samedi 10 mars Muance, édité par Ici d’ailleurs
* Lire l’entretien avec Chapelier Fou à l’occasion de la sortie d’Invisible (en 2012), dans Poly n°148 ou sur poly.fr