L’art de la guerre

Paul Klee, Farbige und graphische Winkel, 1917, Zentrum Paul Klee, Bern, Schenkung Livia Klee

À partir d’œuvres extraites de ses riches collections, le Zentrum Paul Klee s’intéresse à la trajectoire de l’artiste au cours de la Première Guerre mondiale.

Pour Paul Klee, le déclenchement de la Guerre correspond à une grande solitude artistique. Certains de ses amis tombent dans les tranchées comme August Macke, le 26 septembre 1914. Quelques mois plus tôt, les deux hommes faisaient un voyage fondateur en Tunisie… Âgé de 36 ans, il est mobilisé en 1916. Évitant le front, le voilà affecté à l’école de pilotage de Schleissheim où l’armée l’emploie notamment à retoucher les insignes des biplans. Il continue néanmoins à peindre, connaissant un vif succès : en 1917, ses œuvres font un tabac à la Galerie Der Sturm de Berlin. Lettres (dans lesquelles il marque souvent une distance ironique par rapport aux belligérants) et documents témoignent de sa vie militaire dans une exposition qui montre essentiellement l’influence du conflit sur sa création. « Plus ce monde se révèle épouvantable, plus l’art se veut abstrait, tandis qu’un monde heureux produit un art tourné vers l’ici-bas », écrit-il dans son Journal en 1915. Se manifeste un tournant vers l’abstraction qui constitue sa manière de se confronter à un réel tragique. Il restitue la violence des combats qu’il perçoit de manière assourdie dans une orgie géométrique et chromatique où cercles, étoiles, lignes en zigzag et carrés s’entrechoquent avec violence ou choisit de s’en détacher dans des compositions oniriques et féériques comme Ermitage (1918).

Son existence à la caserne a un impact encore plus direct sur Paul Klee qui, pour la première fois, peint sur des chutes de la toile utilisée pour gainer les ailes des aéroplanes, se servant également des pochoirs qu’il manipule pour reporter chiffres et lettres sur l’empennage. Devenu comptable sur la base aérienne de Gersthofen en 1917, il va intégrer des colonnes de chiffres dans ses œuvres, travaillant aussi du papier ligné ou des buvards. Émerveillé par les évolutions des pilotes, Klee crée d’étranges créatures hydrides tenant autant de l’avion que de l’oiseau. Inspirées de l’univers de l’aviation militaire naissent de fulgurantes flèches évoquant les projectiles d’acier qui furent les ancêtres des bombes : on les retrouve dans de nombreuses toiles comme La Maison à la flèche (1922), réminiscence de la Première Guerre mondiale. Le motif perdurera dans son œuvre, devenant symbole de mouvement et de puissance.

Au Zentrum Paul Klee (Berne), jusqu’au 3 juin

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