L’Alsace redessinée
Valeur sûre du paysage gastronomique, Le Cerf, étoilé au Guide Michelin depuis 1936, séduit et sait surprendre sous la houlette de Michel Husser qui, inlassablement, « redessine le terroir alsacien ».
De chaudes boiseries, des marqueteries délicates signées Spindler, une immense toile de Henri Loux (qui illustra le célébrissime service de table Obernai des faïenceries de Sarreguemines), des dessins de Tomi Ungerer… Le décor du Cerf, installé dans un ancien relais de poste, ressemble à un concentré d’Alsace de bon aloi, terroir qui fournit également l’âme de la carte. Reste que Michel Husser, héritier d’une longue tradition familiale, s’est nourri aux sources vives des cuisines de Paul Haeberlin (à la mythique Auberge de l’Ill d’Illhaeusern) – voilà pour la touche grand style de classicisme local – et d’Alain Senderens (à l’époque de L’Archestrate, alors que le cuisinier est à la pointe de l’innovation culinaire, à la fin des années 1970). C’est dans cette féconde dialectique entre socle traditionnel (avec « la plus belle Choucroute » du globe pour le journal Le Monde) et parti-pris révolutionnaire que se déploie la cuisine du chef de Marlenheim qui, sans tambour, ni trompette, s’affirme comme un des meilleurs de la région.
Il est vrai que l’esbroufe n’est pas le genre de la maison. Dans des plats comme le Pavé de skrei cuit sur la peau à l’unilatérale, fricassée de jets de houblon, mousseline de panais, sauce au riesling parfumée à l’ail des ours, éclate la maîtrise d’un cuisinier qui sait accommoder les saveurs mal connues des crosnes, topinambours et autres persils ou cerfeuils tubéreux avec des ingrédients plus courants, dans de passionnantes alliances des goûts, des couleurs et des textures. Michel Husser suit les saisons, proposant, chaque mois, un menu thématique, autour d’un produit phare: que dire ainsi de cette Oie fermière d’Alsace à la royale, chou rouge à l’ancienne, purée de coing et spaetzles, servie à la période de Noël ? Qu’elle est parfaite, certes, mais aussi que s’y rejoignent l’histoire – le volatile peut être considérée comme un des piliers de la gastronomie alsacienne – et la modernité. Il en va de même en fin de repas dans une Partition de sorbets et glace à la vanille “comme un vacherin” qui dépoussière un dessert de grand-mère des sixties. Le Cerf mérite décidément de regagner sa deuxième étoile que le Michelin lui a sucrée, on ne sait trop pourquoi, il y a quelques années. Mais les voies du guide rouge, on l’a compris depuis longtemps, sont impénétrables… et tortueuses.
03 88 87 73 73 – www.lecerf.com