L’adieu aux armes
Le chanteur dijonnais Bastien Lallemant fait Danser les filles avec un merveilleux album menant un combat poétique contre l’individualisme.
Lors de notre dernier entretien en 2005, vous avez refusé d’imiter Gainsbourg. Vous ne voulez toujours pas me faire Le Poinçonneur des Lilas ?
Mon timbre est assez semblable au sien, mais je suis un garçon très timide, donc non. Il faudra tenter en troisième saison ! En fait, j’essaye de plus en plus d’écarter cette référence, qu’elle s’entende le moins possible. Avec mon dernier album, je parviens à m’en éloigner.
Danser les filles ne tient pas ses promesses : il est impossible de danser sur ce disque…
Il y a en effet une petite tromperie sous-jacente et amusante. Ce titre un peu désuet, “à l’ancienne”, sixties, est une évocation d’un livre de Brigitte Giraud qui parle de la Guerre d’Algérie, Un Loup pour l’homme. Le morceau-titre peut parler de n’importe quel gars qui se fait amocher durant une bataille et qui ne pourra plus jamais faire danser les femmes, victime de n’importe quelle guerre où l’on envoie des gamins se faire découper en morceaux. Cette chanson parle de cette infamie !
Fuir au combat fait résonnance à ce titre : il y est question de baisser la garde, de ne plus croiser le fer, de tout lâcher. La métaphore d’un monde sans utopie ?
Oui, les deux morceaux se répondent. Faut-il aller au casse-pipe ou battre en retraite ? Ici, il est question de fuite, de renoncement…
Est-ce un affront de dire que ce nouvel album est plus ambitieux et profond que les précédents, au niveau des arrangements, de la mise en avant de la voix, des choeurs et des textes ?
Selon moi, Le Verger (2010) est plus ambitieux que Les Érotiques (2005), lui-même d’un niveau au-dessus des Premiers instants (2003). Je pense en effet que Danser les filles surpasse La Maison haute (2015) : une marche est franchie dans ma façon d’écrire, de poser ma voix, de produire… L’humeur est nouvelle : harmoniquement, musicalement, cet album est plus solide sur ses pattes, davantage “ancré” !
Dès les premiers accords, on entre littéralement dans le disque, très incarné…
J’ai longtemps été considéré comme un faiseur de chansons avec un charisme léger, travaillant sur un romantisme sombre très européen et intimiste. La Maison haute, par exemple, ne montre pas les muscles. Je voulais cette fois moins de fragilité, plus de “virilité”.
Enregistré avec Seb Martel (Bumcello), JP Nataf (Les Innocents), Fabrice Moreau (batteur d’Arthur H) ou Babx est-ce un disque de copains ?
Ça fait un petit moment que je fais des albums avec des amis (Albin de la Simone, Bertrand Belin…), mais celui-ci est le second volet de La Maison haute et c’est un peu comme si nous étions repartis en vacances ensemble. Alors oui, c’est un vrai disque de potes.
Une chanson à boire (Ami ami), une Berceuse ou un titre à fredonner accroché au guidon de son vélo (Nous dormirons la nuit au chaud) : chaque morceau est typé…
Je ne voulais plus de concept autour d’une thématique serrée. J’ai beaucoup voyagé ces derniers temps, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ou au Japon, et j’y ai beaucoup recueilli de cadences harmoniques, de bouts de phrases : ça a aéré mon écriture. Ami ami a été créé face au Pacifique et n’aurait pu l’être dans la grisaille de notre Grand Est !
Il est en effet beaucoup question de douceur et de chaleur au cours de l’album où ne souffle pas le vent frais de l’Est…
Je ne décide de rien lorsque j’écris, je subis. Je crois qu’avec l’âge, je suis plus serein. Alors je me suis posé à distance pour observer ce monde anxiogène et donner naissance à des titres comme Nous dormirons la nuit au chaud, un chant d’espoir, une parabole sur la circulation des peuples à travers les frontières et un voeu, celui que les migrants puissent enfin trouver un lit où se reposer confortablement.
Vous faites rimer poétique et politique…
Je parviens à totalement exprimer mon ressenti très profond par rapport à la société, au monde qui nous entoure…
À La Vapeur (Dijon), mardi 29 octobre
Édité par Zamora (sortie le 24 mai)