La vie en noir et blanc au Frac Alsace
Les œuvres de six plasticiens sélectionnés parmi 625 candidatures à la Regionale 22 composent Transmergence #03 au Frac Alsace, exposition toute en contrastes chromatico-politiques en noir et blanc.
Commissionnée par Baharak Omidfard et la directrice du Frac Felizitas Diering, cette exposition explore les différentes connotations afférentes au noir et au blanc. Pièce essentielle du parcours, Cela fait toujours du bien de parler de la pluie et du beau temps ou l’incontrôlable mécanique des pollutions intérieures est une installation poétique et inquiétante d’Anaïs Dunn. Au-dessus d’un bassin aux eaux sombres, flotte une myriade de globes de verre parcourus de complexes flux aquatiques où une onde ténébreuse semble tout envahir, gouttant, menaçante : métaphore de nos sociétés gangrénées par la pollution, cette pièce a la semblance d’une marée noire contaminant l’espace de manière anxiogène. Elle voisine avec screening (présent spaces) de Julia Steiner formant un petit labyrinthe de paravents dont les étoffes de soie tendues sur des cadres de métal sont parcourues de dessins, circonvolutions bicolores jouant avec la lumière. Ils génèrent des espaces nouveaux où le visiteur est transporté et entrent en résonance avec son night space, simple matelas jeté au sol, dont housse, couette et coussins sont marbrés de motifs venant matérialiser l’inconscient du sommeil, comme si les rêves et les cauchemars de l’artiste étaient imprimés dans la matière. Tout aussi oniriques sont les trois pièces de Claire Hannicq : dans Obsidienne, par exemple, elle confronte ce verre volcanique formé de lave servant à confectionner des miroirs dans l’Antiquité aux reflets de notre ère miroitant dans les tablettes numériques, « des instruments qui, à la fois, ouvrent l’œil au monde et y déposent un voile » résume-t-elle, histoire d’illustrer l’incomplétude des images qui nous sont sans cesse renvoyées.
Également politiques, les œuvres de Pável Aguilar sont une réflexion sur la migration : ainsi Radiografías del Triángulo Norte est un ensemble de radios évoquant la souffrance des migrants qui ont échoué à entrer aux États-Unis en empruntant “La Bestia”, train de marchandises partant du Guatemala auquel s’agrippent chaque année près de 400 000 désespérés. Ces images aux rayons X montrent frontalement les stigmates de cette douloureuse épopée. À côté de Mimi von Moos – plongée documentaire glacée dans les attitudes coloniales à l’œuvre au Congo au début du XXe siècle – est accroché Je ne suis pas esclave de l’esclavage qui déshumanisa mes pères regroupant des portraits gravés dans la paraffine de militants de la cause décoloniale : Frantz Fanon, Steve Biko, Sorijini Naïdu et Wambui Waiyaki Otieno. Avec cette pièce, Sybille du Haÿs fait acte de mémoire, mais entre aussi en résonance avec les critical whiteness studies révélant « les structures invisibles qui produisent et reproduisent des schémas de supériorité blanche et des privilèges », selon la sociologue Barbara Applebaum.
Au Frac Alsace (Sélestat) jusqu’au 27 février
frac.culture-alsace.org
Une quinzaine d’expositions sont organisées dans le cadre de
Regionale 22, dans plusieurs structures en Alsace, à Bâle et dans le
Bade-Wurtemberg (jusqu’au 09/01)
regionale.org