La valse des monstres
Comme Poly, Ici d’Ailleurs…, sorte de petit frère nancéen de Mute Records, fête deux décennies de succès (Yann Tiersen, Chapelier Fou) et de dégottage d’immenses talents trop confidentiels (Married Monk, Matt Elliott). Questions inspirées par les titres du monstrueux catalogue de Stéphane Grégoire, label manager.
Avez-vous Encore envie [Pascal Bouaziz] ?
Oui, mais peut-être différemment… Je mène une réflexion pour opérer des changements, progressivement, avec une équipe qui s’est étoffée et prendra prochainement ses quartiers dans des nouveaux locaux de trois étages appartenant à la Ville de Nancy. L’idée est de redynamiser un peu le centre de la cité avec un lieu de vie qui fasse office de bureau, de magasin de disques et de club / bar. C’est une expansion… un peu périlleuse, mais excitante.
Vous ne rêvez pas d’Une vie tranquille [Mendelson] ?
Absolument pas ! Cette année d’anniversaire est très éprouvante et demande beaucoup d’énergie, mais c’est un défi à relever. Tout comme l’édition du livre / CD de photos du nancéen Francis Meslet, photographe “urbex” de lieux abandonnés. Pour certains, comme Michel Cloup, la Colère peut-être un moteur… Pour moi, c’est la projection dans l’avenir. D’ailleurs, je ne suis absolument pas nostalgique et je regarde rarement en arrière.
La Fabuleux destin d’Ici d’ailleurs… (IDA) commence avec Le Phare de Yann Tiersen, première sortie du label, il y a vingt ans…
En effet, la magie a opéré et nos premiers pas ont été plutôt heureux. Les difficultés sont arrivées un peu plus tard… Nous aurions pu faire le choix de faire fructifier nos recettes et sombrer dans le commercial, mais ça n’est vraiment pas notre culture et avons préféré sortir les disques de Bastärd, Bed, Fugu ou Dominique Petitgand.
Quel épisode de l’aventure IDA vous évoque une Pensée Magique [Les Marquises] ?
Le bonheur de voir qu’un artiste comme Yann, que tu aimes profondément, puisse plaire autant aux autres. Je me suis senti bien dans mon rôle de passeur ! Je souligne que sans Tiersen et Amélie Poulain, nous aurions mis la clef sous la porte. Cette BO nous a permis de tenir quinze ans, tout en gardant notre cadence un peu folle d’une dizaine de sorties annuelles.
Chapelier Fou est-il votre nouveau Tiersen, économiquement parlant ?
Nous avons en effet beaucoup de facilité à le diffuser ou à plaquer sa musique sur des documentaires. Grâce à la Sacem, il génère beaucoup de droits… mais c’est sans commune mesure avec Yann.
Un Souvenir Hanté [Thomas Belhom] ?
C’est très personnel, mais j’ai enduré une énorme souffrance due à des maux de dos durant une quinzaine d’années, qui ont commencé en plein succès de Tiersen. J’étais d’ailleurs en sa compagnie lorsque j’ai ressenti mes premières douleurs. Lui s’envolait et moi je m’explosais au sol, en mille pièces, comme un puzzle. Cette violence restera ancrée…
Quelle Porte ne s’est pas ouverte [Dominique Petitgand] ces vingt dernières années ?
Si je me trouve devant une porte close, j’essaye de prendre une coursive, une sortie de secours. La musique a toujours été mon échappatoire, surtout durant l’adolescence, car je n’avais pas beaucoup d’affinités avec le système scolaire.
Êtes-vous sensible au Market diktat [Jean-Philippe Goude] ?
Oui, avec Goude, nous avons la même vision nauséeuse de ce dikat. Il faut batailler avec les dérives de notre société, mais mon label m’aide à proposer une alternative à celles-ci.
Quel est l’artiste de votre catalogue À Découvrir absolument [Diabologum] ?
Tous nos artistes sont injustement méconnus, mais je dirais Married Monk. Le groupe n’était pas prêt à intégrer les règles du Market diktat pour se frayer un chemin. Mais il a du génie, tout comme Fugu : il mériterait vraiment de rencontrer le succès !
C’est du gâchis car ils ont composé de véritables tubes en puissance…
Attention, un tube, c’est creux [rires]. Il n’est pas trop tard, l’histoire continue à s’écrire…
Dans votre catalogue, on trouve La Valse des monstres de Tiersen et celle de Married Monk, avec Elephant People, magnifique album concept sur le thème de la monstruosité…
Nous sommes de nature atypique. Il y a du charme et de l’intelligence chez les freaks qu’il faut savoir regarder et comprendre. Nous vivons dans une France des épiciers [clin d’œil à Gontard!, NDLR] un peu stupide et bornée, mais les mélanges qui s’opèrent nous semblent intéressants à explorer. Nous affirmons notre identité française : celle des échanges, de la mixité, de l’hybridation. Comme le dit Thomas Belhom : No Border !
Muance de Chapelier Fou
Jolly New Songs de Trupa Trupa
Et aussi : The Third Eye Foundation, Gontard!, Julien Sagot…
Livre / CD, Mind Travels de Francis Meslet (Ici d’Ailleurs… / Les Presses du Réel)