Mauvaise nouvelle : Robert Mitchum est mort. Et avec lui une certaine idée du cinéma qu’Olivier Babinet et Fred Kihn tentent de faire revivre dans un premier long-métrage. Un road movie rock’n’roll qui nous mène de Paris au cercle polaire arctique… via Strasbourg.
En ouverture du film, une citation de Mitchum dit, en gros : « C’est en voyant Rintintin à la télévision que je me suis dit que, moi aussi, je pouvais devenir acteur. » Bon résumé de l’état d’esprit du duo Babinet / Kihn qui a retenu la leçon “Do It Yourself” des punks : Robert Mitchum est mort est l’œuvre de deux fanas de musique, puis de ciné, qui ont tout appris sur le tas et se sont lancés têtes bêches.
Le Bidule
Olivier Babinet, réalisateur de clips (Mathieu Boogaerts, Rita Mitsouko…) ou de spots publicitaires, et Fred Kihn, photographe pour Libé ou Télérama, se sont rencontrés sur le tournage du Bidule, programme sous forme de romans-photos bêtes et méchants, diffusé entre 1999 et 2001 sur Canal + durant Le vrai journal de Karl Zéro. Tout au long des 78 épisodes, les “héros”, trois nigauds, tentaient, en vain, de décrypter un monde ultra-libéral. Olivier se rappelle de la genèse du projet… à Strasbourg : « Avec mes potes (les benêts de la série, NDLR), on faisait des faux clips et des sketches plutôt que de jouer aux cartes ou aux fléchettes. Le Bidule a été la continuité de ça. » Le but ? « S’échapper de la pub et racheter nos âmes. » Igor Wojtowicz, copain de collège d’Olivier et futur producteur de Robert Mitchum est mort, produit alors l’émission. La belle équipe autodidacte et abreuvée de culture punk, de lecture intensive d’Hara-Kiri ou Charlie Hebdo (« avant Val »), remet le couvert, dix ans après, sur grand écran.
Robert Mitchum est mort
Piètre acteur déprimé et insomniaque, Franky, interprété par Pablo Nicomedes, une vraie gueule de ciné (« C’est autre chose que Guillaume Canet », ironise Olivier), est pris en main par Arsène (Olivier Gourmet, habitué des plateaux des Dardenne), manager à fines moustaches carburant aux spiritueux forts. Il lui fait miroiter monts et merveilles, à condition de mettre le grappin sur Sarrineff, réalisateur cultissime pour les deux loosers. Nous voici embarqués dans un road movie infernal, à bord d’un bolide (volé) orné de flammes, traversant l’Europe, direction le cercle polaire. Lors d’une escale à Strasbourg, les héros en cavale assistent au concert des “vrais“ Screaming Kids. Olivier Babinet : « Dans les 80’s, je jouais avec The Con, un groupe plutôt autodestructeur : ça ne nous gênait pas que les gens aient envie de vomir à l’écoute de nos morceaux. À l’époque, les Screaming Kids avaient signé sur un label anglais. Pour nous, c’étaient des durs, avec une authenticité rock’n’roll pur jus et de beaux textes qui parlent de traversées du désert. »
« Le cinéma, c’est pas du rockabilly ! »
Comme Jarmusch ou John Waters, Babinet et Kihn ont fait un film “rock”, avec des répliques cultes (« Je n’ai rien entendu d’aussi con depuis les Beatles » ou « Le cinéma, c’est pas du rockabilly ! ») et une BO réalisée par Étienne Charry, ex-chanteur de Oui Oui (avec Michel Gondry) et auteur de la musique du Bidule. Selon Olivier, « Charry vient du rock et, sans savoir lire le solfège, s’est mis à faire de la musique orchestrale. » Olivier et Fred appliquent également la philosophie du rock’n’roll : « Il faut faire avec ce qu’on a, même si on n’a pas grand chose », dixit Arsène dans le film. Ainsi, Olivier Babinet apprécie ceux qui « avec peu de choses arrivent à créer un style. Si tu es un Français qui aime le cinéma américain, soit tu fais de gros gâteaux à la Besson, soit tu donnes dans l’élégance, comme Godard ou Melville qui, avec du jazz et quelques bagnoles », rendent hommage aux films US. Selon un personnage du film, peu de réalisateurs intègrent actuellement cette seconde catégorie : « Aujourd’hui, les films sont faits par des pharmaciens », des vendeurs de tapis…-
« Tempo lent, accord primaire, aucun solo »
« Images simples, colorées, aérées, des plans fixes et épurés » : les deux réalisateurs ont opté pour la stylisation, l’économie de moyens. On les rapprocherait volontiers d’Aki Kaurismäki, même s’ils s’en défendent (un peu) : « Son cinéma, comme le nôtre, vient du rock’n’roll. » Bourré de références, leur long-métrage fait des clins d’œil à Mitchum, à Polanski, au Hollywood des 50’s, au western, au polar, à la série B… Et à Lynch pour la bizarrerie qui en émane : on ne sait plus trop ce qui est réel, d’autant plus que les protagonistes sont en permanence sous l’effet de médocs ou de l’alcool. Franky, qui a peur « de devenir transparent », de ne pas être à la hauteur de ses modèles, a-t-il rêvé ce voyage initiatique ? Robert Mitchum est mort s’apparente à une virée fantasmée dans une époque cinématographique révolue, « avec des flingues, la police et des héroïnes de films noirs ». Igor a une « théorie » : « C’est une manière pour nous de s’émanciper de l’histoire du cinéma, de ce passé de grands cinéastes et de grands films. A-t-on encore quelque chose à dire en 2010 ? » À présent, les vieux copains ont la possibilité d’aller plus loin. « Il fallait en passer par là. »
Shellac distribution – www.shellac-altern.or
La musique du film est signée par Etienne Charry, mais aussi par Cheveu (Cheveu feat. “Robert Mitchum is dead” – Quattro Stagioni ) ou The Intelligence, des artistes du label Born Bad