La science des raves
Agoria, Para One, Mondkopf… L’Ososphère nous offre un condensé du meilleur de la scène électronique à La Laiterie qui nous catapulte, une nuit durant, dans un monde cinématique.
Avant-hier dans le quartier gare de Strasbourg, hier au Môle Seegmuller près de la Médiathèque André Malraux, aujourd’hui dans les salles de La Laiterie. Le festival L’Ososphère est décidemment imprévisible… même si nous ne sommes pas vraiment déconcerté par une affiche rassemblant des artistes fidèles à la manifestation electro strasbourgeoise : le duo bordelais surexcité Kap Bambino, Tarwater le combo aux sonorités profondes (mises au service d’albums, d’opéras ou de films), Agoria le compositeur lyonnais (qui a réalisé la bande originale du speedé Go Fast d’Olivier Van Hoofstadt) ou Para One et Mondkopf, les cinéphiles.
L’électronicien Para One, Jean-Baptiste de Laubier de son vrai nom, est fan de rap et de techno comme de ciné. De TTC comme de JLG. Auprès des premiers, il a fait ses armes en tant que “vrai” musicien professionnel, notamment en produisant le tubesque Dans le club et cinq autres titres de l’album Bâtards sensibles. Il vénère le second, Godard étant un de ses maîtres avec Chris Marker auquel il vient de rendre hommage avec son film expérimental It was on earth that I knew joy. Para One, diplômé de la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son), est dans la recherche et la création permanentes. Entre un morceau écrit pour les dance-floors et une production pour Birdy Nam Nam (ou… Alizée), il s’occupe de son propre label, Marble, et compose pour la réalisatrice Céline Sciamma. Naissance des pieuvres : beau film, chouette BO.
Écoutez Requiem (BO de Naissance des pieuvre) :
Mondkopf, Paul Régimbeau dans le civil, toulousain né en 1986, représente la nouvelle génération de musiciens electro hexagonaux. Ce jeune homme songeur (Mondkopf signifie quelque chose comme “tête de lune” dans la langue de Kraftwerk) a hérité son nom d’artiste de l’enfance. Paul, éternel rêveur ? « Je l’étais, je le suis et je le resterai sans doute. Je ne sais pas si c’est une qualité car cela relève surtout d’un manque de concentration qui peut être handicapant dans la vie de tous les jours », remarque l’auteur de titres hypnotiques et torturés sur lesquels plane une mélancolie tenace. Pas étonnant de la part d’un fan de Smog et de folk US en général (« Il y a quelque chose de rassurant dans cette musique ») qui a d’ailleurs réalisé un étonnant remix de Johnny Cash (God’s gonna cut you down), sans même se poser la question du type « “mon dieu Johnny Cash, faut pas y toucher !” ». C’est cependant le rap sombre, notamment celui du Wu-Tang Clan, qui a influencé les premiers enregistrements de Mondkopf, guidé par la pratique de DJ Shadow, guru de l’échantillonnage qui l’a convaincu de la possibilité de « faire du hip-hop sans rappeur », armé, au début, de logiciels rudimentaires et de matériel sommaire. Également fasciné par l’électronique cérébrale du label anglais Warp, il sort Galaxy of Nowhere sur Asphalt Duchess en 2009. Avec Rising Doom (Fool House, 2011), il semble s’écarter du style de ses débuts pour glisser vers un univers technoïde plus glacial et martial, plus direct aussi, avec moins de fioritures et sans samples d’enfants jouant dans une cour de récré. Mondkopf conteste : « Je ne pense pas m’être éloigné du hip-hop, au contraire même ! Je crois que The W du Wu-Tang est un album qui me reste toujours derrière la tête quand je compose. The Cold Vein de Cannibal Ox aussi. Ces deux disques sont très sombres et pesants, super urbains et en même temps d’un autre monde. J’ai donc voulu me rapprocher de ce genre d’ambiances pour Rising Doom. » Dont acte.
Sa musique est à la fois physique – avec des beats qui tapent fort –, mentale, s’adressant à la Kopf, mais aussi « au cœur et aux émotions. C’est vrai qu’elle fait travailler l’imaginaire, mais sans aucune image préconstruite. » C’est forcément un peu tarte à la crème concernant l’electro instrumentale, mais on imagine très bien les compos de ce garçon, qui rêvait d’embrasser une carrière dans le ciné, illustrer un long-métrage, une fresque épique et noire si possible. « Le travail d’une BO est quelque chose de vraiment intéressant et de très subtil. J’ai failli en réaliser une, mais des problèmes de production ont annulé le tournage du film. » Si l’occasion se représentait, il n’aurait pas de cinéaste de prédilection, mais penche quand même sérieusement pour quelqu’un qui le laisserait « aller assez loin ».
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Vidéo de La Dame en bleu :